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Jean SEGURA                                                                                    

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Histoire du Journal télévisé à la télévision française

Jacques SALLEBERT (20 octobre 1910 - 27 novembre 2000)

Jacques Sallebert

Interview par Jean SEGURA

7 octobre 1998

J'ai commencé en 1949 avec le premier journal, lancé par Pierre Sabbagh. Avant j'étais journaliste à la radio - Paris Inter - pour qui j'ai couvert pendant quatre ans plusieurs grands événements sportifs, ou politiques comme l'indépendance d'Israël.
Faisant partie de l'équipe des reporters de la radio, lorsque la direction du journal parlé à la radio (Vital Gayman) a pris la décision de faire un JT et a demandé à Pierre Sabbagh de s'en occuper, celui-ci a dû recruter au sein de l'équipe de la radio trois ou quatre éléments pour partir rue Cognacq-Jay. Il a eu du mal à trouver des volontaires parce que personne ne voulait y aller. A la radio, ils étaient connus et avaient leurs auditeurs fidèles. A la télévision ils n'auraient été personne car il n'y avait pas de téléspectateurs.

Le Tour de France en ballon "saucisse"

Pour le premier JT, on a choisi la date en se calant sur le Tour de France, un événement national dont les Français étaient dingues. On a ouvert (le 29 juin 1949) avec le départ du Tour par dix minutes d'images à chaque édition (trois fois par semaine). On avait les images de la veille à partir des films fournis par les actualités cinématographiques (Pathé, Gaumont et Actualités Françaises). On recevait tous les après-midis la pellicule de la veille, qui était développée et prémontée et il fallait qu'on la remonte pour être aux dimensions du JT. Ce images étaient diffusées en télécinéma. Mais eux travaillaient en 35 mm et nous en 16 mm ce qui posait quelques problèmes et nécessitait encore de faire une conversion. Quelquefois le JT commençait et on avait pas terminé de monter le sujet. C'était alors la panique et nous n'avions pas le temps de préparer le commentaire qu'il fallait alors improviser en direct. Pas de présentateur à l'écran.
On avait un car de reportage superbe et gigantesque avec des caméras qui pesaient "une tonne" construit par Radio Industries et Henri de France. On avait inauguré ce car pour le Tour de France le 25 juillet 1948, donc un an exactement avant le JT. On a filmé en direct l'arrivée du Tour dans l'ancien Parc de Princes, ce qui n'a pas été une petite affaire. On m'avait demandé d'en faire le commentaire, puisque j'étais à ce moment là commentateur sportif à la radio. Il a fallu utiliser un ballon "saucisse" ou captif (fixé au sol) au dessus du stade pour mettre l'antenne à la bonne hauteur et pouvoir émettre vers le studio de Cognacq-Jay. Les gens - étonnés - se demandaient ce que ce ballon faisait au dessus du Parc de Princes, mais il nous a sauvé la vie ce ballon. Les trois caméras étaient placées à des points névralgiques pour essayer d'avoir de bonnes images. On émettait du car, qui était dans le quartier des coureurs, et il fallait des dizaines de mètres de câbles. Et depuis Cognacq-Jay vers la Tour Eiffel.
Le JT a rouvert début octobre 1949 avec un rythme de croisière. Les images étaient fournies également par des caméramans professionnels (qui avaient leur propre matériel, car la RTF n'avait pas encore de caméras) qui avaient travaillé pour les actualités cinéma, ou pour le service cinématographique de l'armée. Ils partaient avec un journaliste - en métro ou avec ma voiture (une 202 décapotable qui permettait de faire des travellings). On avait pas de budget propre et dépendions encore de la radio dont nous n'étions qu'un appendice.
On avait tous les matins un conférence de rédaction et on se distribuait le boulot. Comme source d'info, nous lisions les journaux (pas encore l'AFP). Les équipes partaient et il fallait qu'elles reviennent assez tôt pour le soir. Chacun était responsable de son sujet. Il y a avait deux ou trois sujets maison et le reste était des sujets d'agences que nous remontions parce qu'ils étaient généralement trop longs et que nous commentions nous-mêmes (de façon tout à fait différente des actualités cinéma).
Le présentateur n'est apparu que plus tard (Claude Darget en 1954 - cf Arnaud Mercier, DAV 76, p. 25, ou 1er nov 1954, Que-sais-je? n° 2922, p 18, ou Que-sais-je? n° 3055, p33 - ou Pierre Dumayet - Ici Paris 16 septembre 1998 - ou Claude Villedieu le 6 novembre 1956 - émission TF1 octobre 1998).

"A vous Londres"

Je suis parti à Londres en 1950 lorsqu'on a parlé d'Eurovision. Car, après avoir vécu le JT, je me suis dit maintenant il faut vivre l'Eurovision. Un an avant, j'ai (d'ailleurs) notamment commenté (en direct ?) la cérémonie du couronnement de la Reine d'Angleterre qui a eu lieu le juin 1953 (événement précédé de quatre jours de reportages et de programmes britanniques retransmis en France - cf Que-sais-je? n°3055, p22). Nous avions également fait une semaine franco-britannique d'émissions (dans le cadre d'une collaboration entre la RTF et la BBC du 8 au 14 juillet 1952 - cf Que-sais-je? n°3055 p18-19 et HTVF, Nathan, p35) avec des reportages sur Londres, etc. C'était l'internationalisation de la télévision qui commençait, ce qui était très important. Par la suite, j'ai animé une chronique régulière depuis Londres qui s'appelait "A vous Londres" (J. Sallebert, premier correspondant de la TV française), ce qui avait beaucoup de succès et les gens adoraient ça car cela leur ouvrait une fenêtre sur l'étranger. C'était l'aventure, c'était "Blériot" qui traversait la Manche. La BBC avait mis pour nous un studio grand comme un placard avec une caméra sans caméraman manipulée depuis la régie par un technicien. Je racontais des tas de choses sur les préoccupations des Anglais de ce jour. On parlait également des problèmes franco-anglais.
Un jour de 1956, j'avais fait venir un parlementaire travailliste qui dénonçait l'intervention franco-britannique (et donc des socialistes français) sur le canal de Suez.. Guy Mollet, président du Conseil socialiste, était alors l'allié des Conservateurs anglais dans cette expédition. Voyant ça sur "sa" télévision, Mollet a téléphoné à Wladimir Porché pour demander ma tête et le lendemain matin, j'étais viré de Londres. Mais, par solidarité, il y a eu une formidable levée de boucliers à Paris pour me défendre. Je suis rentré pour m'expliquer et le surlendemain, j'étais rétabli. Et lors de l'émission suivante, j'ai fait venir sur le plateau un député Conservateur qui a dit que Mollet était un type génial.

Premier Directeur du JT sous De Gaulle

Je suis resté à Londres jusqu'en 1958 au moment du retour de de Gaulle aux affaires. On cherchait alors un directeur du Journal télévisé qui n'ait pas été mouillé dans les années précédentes, ce qui était mon cas, vu mon éloignement géographique. Christian Chavanon (qui avait pris la place de Gabriel Delaunay comme directeur de la RTF depuis le 1er février 1957 - cf Que-sais-je? n°3055, p27) m'a demandé de prendre la direction du JT. Cela a duré trois mois et j'ai rendu mon tablier. Car j'étais tous les jours convoqué au Ministère de l'Information qui me donnait des directives quant à ce que nous pouvions dire ou non à l'antenne. Les ministres de l'Information ont été Louis Terrenoire, puis Roger Frey que j'avais connu à une époque où il ne faisait pas encore de politique. Je suis allé le trouver pour lui dire que nous ne pouvions plus continuer comme ça. Je suis parti sur la pointe des pieds et Philippe Raguenaud, compagnon de la Libération m'a remplacé. Moi j'avais appris l'indépendance et la liberté en travaillant pendant huit à Londres au contact de la BBC qui n'avait pas les mêmes méthodes que celles de la RTF.
En 1958, le journal se faisant comme aujourd'hui, c'était la même machine, mais de manière beaucoup plus simple et beaucoup moins technique : la conférence du matin. On alimentait le journal avec les mêmes sources : les agences, la production propre, et les informations de l'Eurovision qui tombaient tous les matins à 10 h 30. (Cela concernait les pays membres de l'Union Européenne de Radiodiffusion ou UER, huit en 1954 - cf Que-sais-je? n°1904, p80 - {déjà à l'origine de l'Eurovision en 1954 - cf HTVF, Nathan, p59}. L'UER va assurer un service d'échange quotidien à partir de 1974 - cf Que-sais-je? n°1904, p80 - trois fois par jour : les deux centres de l'UER à Genève et Bruxelles procèdent à la transmission des images d'actualités dans le cadre des Eurovision News Exchange, ou EVN auprès des 32 pays membres de l'UER { en 1985}, cf Dossiers de l'Audiovisel 11, p 13-15)
C'était très bien fait ça. Il y avait une centrale à Genève et à Bruxelles et chaque pays le matin envoyait un télex en proposant tel et tel sujet. Et on pouvait choisir parmi tous les sujets, et les images étaient ensuite envoyées par le réseau hertzien Eurovision. On recevait les actualités de Bonn, Londres, Rome ou Madrid que l'on enregistrait par kinescopage (inventé en 1950), jusqu'à l'apparition des premiers magnétoscopes de studio (en 1958). On faisait son marché en quelque sorte.

Correspondant à New York pendant huit ans

Sur le plan politique, la censure était pire sous la IVe République. Le Général de Gaulle était interdit d'antenne. Il n'y avait que le président du Conseil ou le président de la République qui s'exprimaient à la télévision. Jamais on a vu quelqu'un de l'opposition montrer son bout de nez. Le premier qu'on vu c'est Lecanuet pour les présidentielles en 1965 et ça a été un événement. J'ai connu l'époque où les équipes de rédaction des journaux parlés de Paris Inter changeaient avec la couleur politique des gouvernements : un coup MRP, un coup radical, etc. On avait ainsi un éventail de rédacteurs en chef que l'on changeait selon le ministre au pouvoir.

Après mon départ comme directeur du JT, j'ai collaboré à Cinq Colonnes à la Une, et j'ai repris ma place comme présentateur du JT de temps en temps. Car nous étions plusieurs à le faire à ce moment là. J'attendais le départ pour New York, une fonction que j'avais sollicitée. J'y suis finalement parti en 1962, pour rester huit ans. C'était aussi l'occasion d'inaugurer la Mondovision (communication transatlantique par le satellite Telstar). Nous avions préparé un petit programme avec des interviews, etc du toit d'un gratte-ciel de New York en direct dans les immeubles de CBS. Je n'avais que deux caméramans, mais pas d'équipement lourd. A chaque intervention, j'allais dans un studio américain. On commandait le satellite de telle heure à telle heure et j'envoyais ma salade. Je participais au journal pour proposer des sujets, par exemple sur l'ONU ou sur les Etats-Unis. Pendant la période où j'étais là-bas, c'était la transformation de l'Amérique, ce qui était passionnant (crise cubaine, assassinats des Kennedy et de ML King, guerre au Viet Nam, lutte pour la reconnaissance des droits civiques pour les noirs, conquête spatiale, etc). J'ai notamment couvert tous les vols spatiaux de la NASA à Cap Canaveral, depuis les premiers lancements de satellites américains jusqu'aux premiers pas de l'homme sur la Lune.
Mais mon souvenir le plus émouvant de reportage aura été les obsèques du Général de Gaulle à Colombey en 1970 après mon retour à Paris. Pendant tout le temps où j'étais à New York, je faisais aussi un magazine de 20 mn tous les quinze jours qui s'appelait Nos Cousins d'Amérique ou Paris à l'Heure de New York, selon les sujets traités. Les gens étaient ravis parce que cela faisait découvrir et comprendre un autre pays aux Français, ce qui est somme toute le rôle d'un correspondant de la télévision à l'étranger. Aujourd'hui, le correspondant suit l'actualité et fait ses sujets pour le journal et puis c'est tout. Tandis que moi je choisissais mes sujets : je faisais des reportages comme on le faisait pour Cinq Colonnes… De temps en temps on m'envoyait Philippe Labro (rires) mais je faisais les neuf dixièmes. Je faisais toute l'Amérique (48 Etats sur 50) : les Mormons, les Indiens, etc. J'avais une petite équipe de production : deux caméramans, des monteurs, et des ingénieurs du son, etc qui travaillaient sans arrêt. Des journalistes qui venaient quelquefois de France pour faire des sujets spéciaux pouvaient travailler sur place avec cette équipe. Nous filmions en 16 mm N&B, puis en couleur.

Gaulliste et gréviste en 1968

Après mon retour à Paris, on m'a mis au placard : on m'a confié une mission : il s'agissait d'un comité d'étude avec l'AFP pour la création d'une agence d'images françaises qui pourrait venir prendre place auprès des grandes agences anglo-saxonnes (UP, AP, Reuter) qui fournissaient le JT français. Un tel projet aurait coûté extrêmement cher avec un réseau mondial qu'on démarrait avec vingt ans de retard. Bref c'était aberrant. On a fait un rapport dans ce sens, ce qui n'a pas plu évidemment au ministre qui avait eu cette idée "géniale".
Tout en étant gaulliste, nous étions, moi et quelques autres des empêcheurs de tourner en rond. D'ailleurs en mai 1968 (j'étais encore à New York), un de mes collègues (non gréviste) me téléphone de Paris pour me demander si je suis en grève. Je lui répond "Bien sûr que je suis gréviste puisque je suis journaliste". Ben c'est dommage parce que vous ne serez jamais directeur de la télévision" m'a-t-il répondu.
Par la suite (de 70 à 74), on m'a proposé finalement la direction générale de la Radio. J'avais fait tellement de choses à la TV, que cela me plaisait de retourner à la radio où je suis resté pendant quatre ans. D'autant que c'était les débuts de la modulation de fréquence, ce qui m'a passionné : France Musique en stéréo, etc. Pendant ce temps là Desgraupes était à la Télé. Ca a été un période de velours, "ils n'étaient pas fauché avec ça" mais qui n'a pas duré. Ca a été une des raisons qui ont coûté sa place à Chaban, c'est d'avoir voulu donné trop d'indépendance à la télévision. Après 1974, j'ai été sur la touche. Puis après la création d'Antenne 2, Marcel Jullian m'a proposé le poste de directeur d'information sur conseil de Marceau Long. Je suis revenu dans le circuit, ce qui n'était pas du tout prévu. Mais on m'a empêché de prendre les collaborateurs que je voulais : Gildas, parce qu'il était communiste (???), Gicquel, parce qu'il était avec moi à France Inter, Michel Bassi, parce qu'il était chabaniste. Finalement on m'a rendu la vie impossible et je suis resté pendant un an dans un placard. Je me suis occupé d'un club de la presse. J'ai finalement démissionné en 1982. Puis j'ai passé quatre ans à la direction générale de TMC et que j'ai terminé ma carrière. Et nous avons créé TMC Italie, ce qui a été une réussite. J'ai été conseiller municipal à Cannes.
Quand je vois le journal d'aujourd'hui, je le trouve plat. Le présentateur idéal pour moi, c'était Mourousi : pas de téléprompteur, c'était de la corde de raide tous les jours. Moi je n'ai jamais connu le téléprompteur (les Anglais et les Américains utilisent ça depuis très longtemps). On avait le conducteur du journal et la longueur des sujets, les "tunnels" entre les sujets et on se jetait à l'eau. On bafouillait rarement, à ce moment là c'était du sport. Il y avait quelques caractères : Darget ou Zitrone, qui était quand même un "monstre".
Petit couplet sur Zitrone qui l'a remplacé au courses hippiques et qui est rentré comme ça à la télévision. J'avais nommé Gicquel au journal parlé de France Inter. Gouyou Beauchamp, porte parole de Giscard, m'aimait bien.
Dans les années 50-60, il n'y avait alors qu'une chaîne. Et il y avait de bonnes choses. La télévision était plus conviviale, c'était la famille. On était beaucoup plus proche des téléspectateurs que maintenant. Aujourd'hui on travaille pour l'audimat. Avant on travaillait pour les "copains" téléspectateurs.

FIN

Jean SEGURA

Jacques Sallebert Entre l'arbre et l'écorce

Livre : Entre l'arbre et l'écorce - Jacques SALLEBERT, 1975 - Ed Stock

 

L'histoire du Journal télévisé à la télévision française : les chapitres

   PARCOURIR LE MONDE EN TRENTE MINUTES

   FILMER PLUS LOIN, MONTRER PLUS VITE

   DES HOMMES ET DES FEMMES DANS LA LUCARNE

   COUPS DE CISEAUX ET COUPS DE GUEULES

   DU PREMIER JOURNAL À L'INFO MULTI-CHAINES

   Jacques SALLEBERT - Interview

   Georges DE CAUNES - Interview

   Roger GICQUEL - Interview

 

 

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