Accueil | Le Temps des Etudes... | Toute une histoire !... | Et si vous me lisiez... | A quoi servent les bons Amis ?... | Des Vacances à Paris |
---|
Jean SEGURAContact par e-mail : jean@jeansegura.fr |
|
Histoire du Journal télévisé à la télévision française Roger GICQUEL (22 février 1933 - 6 mars 2010) Interview par Jean SEGURA
7 octobre 1998 En quelle année êtes-vous rentré à la télévision ? R.G. : Je suis rentré à la télévision le 6 janvier 1975. C'est au moment de la grande réforme de l'audiovisuel. Et quelle chaîne avez-vous intégré ? R.G. : Je suis rentré chez TF1 par la volonté de Jean-Louis Guillaud qui a lui-même trouvé ce nouvel intitulé de la première chaîne. Il a fait appel à moi pour présenter le journal télévisé de 20 heures. Que faisiez-vous auparavant ? R.G. : J'avais déjà une bonne carrière derrière moi. Tout cela c'est passé lors de l'éclatement de l'ORTF où j'étais déjà en place depuis août 1968. Je présentais les flashes de nuit à France-Inter trois nuits sur cinq. Avez-vous une formation de journaliste ? R.G. : Non, je suis entré dans la presse écrite par hasard. J'avais un emploi épisodique dans une compagnie aérienne en tant que steward pour nourrir ma famille. C'est à l'âge de vingt neuf ans que je me suis dit qu'il me fallait rattraper une vocation "rentrée" plutôt que de continuer à voyager à travers le monde. Pour cela je devais retourner l'école, mais c'était un peu tard. J'ai donc suivi l'école du "terrain" en entrant aux éditions locales du Parisien Libéré, comme pigiste de base, en commençant par ce qu'on appelle la rubrique des "chiens écrasés", avec mon "lignomètre", appareil qui servait à mesurer les lignes. Comme il y a plusieurs formats de caractères, il y avait des lignes à 8 centimes, 12 centimes ou bien à 20 centimes, tout comme les photos. J'ai fait cela pendant six ans puisqu'il fallait que je me forme sur le terrain. D'ailleurs, cette formation vous apprend à trier l'information à partir des sources officielles, quelquefois contradictoires, quand elle concerne les départements, les districts ou les communes. On apprend à trier les information à partir de sources officielles. Pour exemple, dans une ville moyenne de 12 000 à 15 000 habitants, il y a généralement un commissariat ou une gendarmerie. Lorsque vous ratissez l'information dans l'un ou l'autre de ces deux points de sources, elles sont relativement contradictoires, ce qui est intéressant ! D'autres sources sont à l'évidence la partie intégrante de la formation nécessaire du journaliste, c'est-à-dire l'état civil, le conseil municipal, le vote des budgets à plusieurs niveaux au conseil général ou dans les communes. Première revue de presse à France-Inter Pour résumer, vous avez donc commencé par la presse écrite pour passer ensuite à la radio qui allait devenir Radio France. Puis au moment de la réforme de l'audiovisuel, vous êtes entré à TF1 où on vous a immédiatement proposé de présenter le 20 heures. R.G. : De manière plus chronologique, j'ai présenté les flashes de nuit de France Inter. En 1969, Jacqueline Baudrier qui était la directrice de l'information à la radio, m'a demandé de créer une revue de presse à laquelle je tiens beaucoup puisque c'est cette même revue de presse qui continue encore à 8h30. Jusqu'à quand l'avez-vous présenté? R.G. : jusqu'au 20 décembre 1980, donc pendant six ans. Comment faisait-on le journal à ce moment-là ? Pouvez-vous me remémorer une journée type précédant un journal télévisé ? R.G. : Il y avait une première conférence de rédaction à 9h00, avec les chefs de services sous l'autorité du rédacteur en chef. Ca se passe d'ailleurs toujours comme ça. A l'époque, cette réunion était également ouverte à tous les journalistes des différents services alors qu'elle l'était peut-être moins auparavant. Combien y avait-il de chefs de services ? R.G. : Il y avait les chefs de service politique, économique et social, sports, infos générales. En tout sept ou huit. Y avait-il à l'époque ce qu'on appelle aujourd'hui les "spécialistes" ? R.G. : C'est une institution qui est venue avec ce que j'appelle la première "libéralisation" du journal télévisé. Sous Jacques Chaban-Delmas ? R.G. : Pour moi, l'éclatement de l'ORTF voulu par Valéry Giscard d'Estaing, c'est une tentative de libéralisation de l'information. Alors que Chaban ait joué son rôle avec Desgraupes, il n'y a aucun doute là-dessus. Mais moi je vous parle de mon vécu, qui est sous l'autorité de Giscard. L'éclatement de l'ORTF et la promesse que tout journaliste qui aurait eu à se plaindre d'une pression gouvernementale devrait venir s'en plaindre à lui-même. Vous devez vous souvenir que cela était dans sa campagne électorale puis réitéré au moment de son élection. Tout à l'heure, vous avez fait allusion à l'apparition des spécialistes commencée au moment de la première grande réforme. R.G. : L'apparition des spécialistes, finalement libres de leurs propos, me semble en effet bien appartenir à la réforme dont on parle, c'est-à-dire de l'éclatement de l'ORTF et la mise en service des sociétés de télévisions qui en sont issues. La principale réforme dans un cahier des charges non écrit était la "personnalisation" du journal télévisé. Le "contrat" qui m'a été proposé était de présenter un journal personnalisé. Le présentateur était là cinq jours sur sept, on ne relisait pas ses papiers et il était entièrement responsable de ce qu'il disait lui-même à l'antenne. Vous écriviez-vous même vos textes et commentaires ? R.G. : Cela ne signifiait pas pour autant que j'étais responsable de l'intégralité du contenu du journal. Je n'en étais pas le rédacteur en chef. Cependant, le présentateur du journal personnalisé a été forcément amené à revendiquer la fonction de rédacteur en chef, ce que ni moi-même, ni Patrick Poivre d'Arvor n'avons pu à l'époque obtenir. Est-ce que le présentateur est toutefois le "maître d'emballage" de son journal ? R.G. : Il est chargé d'exploiter l'information à concurrence de son propre savoir. Viennent ensuite les reportages pour accompagner son journal, provenant soit des échanges internationaux, soit de la production propre de l'équipe rédactionnelle. Le présentateur n'est pas forcément totalement d'accord avec le contenu du journal, mais qu'il doit (c'est sa fonction) vendre aussi la partie qu'en conscience il n'aurait pas exploitée. C'est le début de la liberté ça : c'est le combat entre la fonction de vendeur et celle de journaliste conscient de sa propre hiérarchie de l'information qui repose sur la connaissance qu'il croit avoir de son public. Personnalisation du journal Il y a donc la partie forte, la colonne vertébrale du journal puis les modulations employées par le présentateur qui vont constituer l'emballage du contenu. Votre manière de présenter le journal vous a rendu célèbre : ne démontrait-elle pas un certain engagement de votre part ? R.G. : C'est ce qu'on appelle la personnalisation du journal. Ne pensez-vous pas que c'était le cas auparavant avec des personnalités telles que Darget ou Zitrone ? R.G. : Il faut noter que les très fortes personnalités de de Caunes, Darget, Zitrone ou encore l'extraordinaire Georges Walter, n'avaient pas la régularité de la présentation que je faisais cinq jours sur sept, c'était souvent des présentations tournantes. Ces quatre présentateurs là avaient des personnalités très fortes, mais qui juraient avec d'autres, moins proéminentes, puisque cette période là s'est terminée avant l'éclatement, avec ce qu'on appelé l'époque des "minets" , des jeunes, des très jeunes dont certains ont fait ensuite leurs preuves. Ils présentaient le journal de la manière la plus "soft" possible, sans commentaire… On a tenté de faire une télévision à l'américaine avec Joseph Pasteur, sensé incarner un présentateur dynamique ? (Pierre Desgraupes, directeur de l'information sur la Une en 1971, avait voulu reproduire ce qu'il avait vu sur CBS News avec le célèbre présentateur Walter Conkrite) R.G. : Comme les quatre cités plus haut, Joseph Pasteur avait lui aussi une forte personnalité. Il aurait été le premier à utiliser vraiment le prompteur. Moi je l'ai eu d'office. Cette technique vous a t-elle facilité les choses ? R.G. : On écrit soi-même le texte qu'on dicte ensuite à sa dactylo qui est en quelque sorte le premier "téléspectateur" à l'entendre. Si elle faisait mine de ne pas comprendre certains passages, il fallait alors modifier ce texte. Vous avez connu la période de transition entre le film et la vidéo. R.G. : Je n'ai pas connu la vidéo. Tout était en film jusqu'en 1980. Tout ce qui venait de l'extérieur en reportage était magnétoscopé mais on ne tournait pas en vidéo. La vidéo a été introduite d'abord dans le studio et pour la régie. La vidéo est donc apparue plus tard sur les tournages ? R.G. : Je l'ai connue en 1982. J'ai effectué mon premier tournage vidéo en 1983 à la prison de Châteauroux. Le chef de centre du services technique hésitait à nous confier les caméras car les containers pour la protéger n'étaient pas arrivés. C'est une anecdote mais elle prouve à quel point c'était le début de la vidéo en reportage ! C'est une étape importante, car au départ les informations n'étaient que du film avant l'arrivée d'un présentateur, jusqu'à ces innovations techniques. R.G. : Il y avait des rendez-vous fixes de faisceaux et une régie spéciale pour recevoir les EVN et la production régionale. A partir de quand avez-vous utilisé les EVN ? R.G. : Très rapidement. Cela existait déjà avant mon arrivée à TF1. Est-ce que cela vous permettait de faire un journal avec des images très récentes ou bien dataient-elles déjà de la veille ? R.G. : La concurrence entre les chaînes d'Etat étant bien notifiée, il y avait émulation et donc forcément prouesse journalistique et technique. Chacun essayait de faire parvenir des images le plus vite possible. Néanmoins, lorsqu'il s'agissait d'images de provenance très éloignée, le délai était de 24 à 48 heures. Les moyens pour qu'elles arrivent rapidement étaient encore plus déployés lorsqu'il s'agissait d'un chef d'état ou un premier ministre en visite à l'étranger (Chine ou Iran). Dans ce cas, nous avions les images dans la journée. Vous parliez tout à l'heure de la concurrence entre les chaînes, phénomène assez nouveau qui a commencé à apparaître au moment où vous avez pris vos fonctions de présentateur à TF1, comment cela s'est-il traduit avec le temps ? Qui y avait-il ? R.G. : Jacques Sallebert était directeur de l'information, (Serge ??) Leroy, un transfuge d'Europe 1, Jean-Michel Desjeunes, qui présentait le journal, et Patrick Poivre d'Arvor qui est arrivé après une période de présentateurs qui ne rassemblait pas l'audience désirée (la naissance de l'audimat ne viendra vraiment qu'en 1982 avec l'implantation de l'audimètre dans 650 foyers, opération mise en place par le Centre d'étude d'opinions ou CEO, lequel sera remplacé en 1985 par Médiamétrie, organisme de droit privé). Il y avait très peu de publicité avant le journal et on ne parlait pas encore d'access Prime Time. Quand a t-on commencé à en parler ? R.G. : Beaucoup plus tard, au moment de l'explosion du paysage audiovisuel. A la période où j'étais présentateur on ne se souciait pas d'établir une échelle d'audience du journal. C'est venu à l'époque d'Hervé Bourges (à la tête de TF1). On a commencé parler access Prime time avec les émissions de Collaro, un feuilleton qui précédait le journal, etc. Mais dans la période ou je présentais le journal, je n'entendais pas parler du souci des chaînes de préparer la "litière" pour le journal. Vous avez terminé de présenter le journal en 1980. Comment avez-vous perçu le paysage audiovisuel après l'arrivée de la gauche au pouvoir. R.G. : Ca a été terrifiant. Là tout à coup dans la rédaction, pendant une année une année et demi (il s'interrompt pour me parler d'autre chose)… 50 ans de culture du journal télévisé Comment voyez-vous le journal télévisé d'aujourd'hui tel qu'il est fait par l'une ou l'autre chaîne ? R.G. : J'ai le sentiment qu'il s'améliore. Il y a eu vraiment beaucoup d'à-peu-près jusqu'à ces derniers temps - il y a encore six mois- où je dénonçais la culture "flash" des journaux télévisés. Notre journal télévisé devait faire 28 minutes, les débords étant quasiment interdits mais il y en avait quand même. J'avais établi une moyenne d'environ 8 vrais sujets par journal plus une séquence de 3,5, 4 minutes de nouvelles brèves. Il y avait 8 séquences de sujets de 2 à 4 minutes, avec une volonté d'approfondissement pour chaque sujets. A partir des années 90, on a vraiment une information débitée en tranches n'excédant pas une minute à 1 minutes et demi, pas plus, comme si il fallait éviter la fatigue au téléspectateur. C'est à dire qu'un sujet de 4 minutes devient quelque chose de complètement extraordinaire. Ce qui n'interdit pas de consacrer une demi heure à la princesse Diana (ceci reste entre nous). Vous voyez la différence c'est ça. Mais la tendance n'est plus la même. Il semblerait que notamment depuis l'arrivée du nouveau présentateur de la "Deux" (Claude Sérillon), il y a un changement notable et en intelligence et en matière d'approfondissement. Pensez-vous que l'avancée des nouvelles technologies a influencé la manière de fabriquer le journal ? R.G. : 50 ans de TV c'est aussi 50 ans de culture du journal télévisé. Le JT est une constante. A partir de cette culture, peut-être qu'on a appris a domestiquer ce qui était trop facile. J'ai l'impression qu'on apprivoise tranquillement les nouvelles données techniques. Au nom de cette expérience, j'ai le sentiment qu'on fait bien avec. Avec Sérillon, on a un médiateur de bonne facture qui ne s'interdit pas le commentaire en demi-teinte et c'est assez ce que j'aurais aimé faire. Je pourrais ajouter un élément technique particulier : avant 1975, les journalistes qui présentaient le journal étaient obligés de descendre trois étages pour visionner les sujets qui arrivaient en salle de projection. Ce n'est qu'à force de réclamation en 1976 que j'ai pu obtenir - avec des bidouillages techniques - que toutes les images arrivent dans mon bureau. J'avais fait un court voyage aux Etats-Unis et c'est à CBS où j'étais allé voir Walter Conkrite et j'ai pu voir qu'il avait les images de son journal dans son bureau. (Et d'ailleurs, il présentait le journal de son bureau). FIN
Jean SEGURA
L'histoire du Journal télévisé à la télévision française : les chapitres PARCOURIR LE MONDE EN TRENTE MINUTES FILMER PLUS LOIN, MONTRER PLUS VITE DES HOMMES ET DES FEMMES DANS LA LUCARNE COUPS DE CISEAUX ET COUPS DE GUEULES DU PREMIER JOURNAL À L'INFO MULTI-CHAINES
|
Accueil | Le Temps des Etudes... | Toute une histoire !... | Et si vous me lisiez... | A quoi servent les bons Amis ?... | Des Vacances à Paris |
---|