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Jean SEGURAContact par e-mail : jean@jeansegura.fr |
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Histoire du Journal télévisé à la télévision française COUPS DE CISEAUX ET COUPS DE GUEULES par Jean SEGURA Je te tiens, tu me tiens par la barbichette ! L'histoire des rapports, souvent difficiles - entre le pouvoir politique et les gens de télévision (et les journalistes en particulier) est aussi vieille que celle du JT lui-même. De censure en réformes, l'information télévisée a-t-elle su finalement s'émanciper de la tutelle politique ? Tout a commencé bien sûr avec la IVe République : " à cette époque, le Général de Gaulle était interdit d'antenne" raconte Jacques Sallebert. "Et lorsque, correspondant à Londres en 1956, j'ai laissé un député travailliste exprimer ses réprobations vis à vis de l'alliance entre les Conservateurs britanniques et les Socialistes français dans l'opération militaire du Canal de Suez, cela a failli me coûter ma place". D'ailleurs ni les événements de Suez, ni ceux d'Algérie n'ont fait l'objet de reportages en direct. Après 1958, ce fut au tour des ministres gaullistes de vouloir faire la pluie et le beau temps du JT. En 1959, raconte Marlène Coulomb-Gully (1) "La ligne directe entre le bureau du ministre de l'Information et celui du directeur de la Télévision, situé juste en dessous, avenue de Friedland, est symbolique de la situation". De plus, rappelle ce même auteur "le directeur de l'information est alors tous les matins au rapport dans le bureau du ministre, soit pour rendre compte des émissions de la veille, soit pour prendre les ordres pour les émissions du jour". Une surveillance qui "sera à son comble durant les événements d'Algérie". Le "journal" selon le ministre Nouveau ministre de l'Information, Alain Peyrefitte a sa propre idée sur la manière dont il faudra désormais faire le journal et s'en explique directement aux Français lors du vingt heures de Léon Zitrone : "cette nouvelle formule, qui supprime les commentaires pour laisser parler seulement les images ou les faits, ou alors des dialogues, marquera un progrès vers l'objectivité et la dépolitisation". Mais les pratiques de main mise sur le JT se poursuivent en 1963 sous l'égide du Service de liaison et d'information interministériel (SLII), organisme créé le même Alain Peyrefitte. Le SLII continue en effet d'encadrer les responsables et le contenu du journal. "On nous faisait comprendre qu'il fallait insister sur telle chose, tel événement, etc. Alors voilà à quoi servait le SLII. Tous les jours à 10 h, il y avait une réunion qui se passait dans les bureaux du ministère de l'Information (2) " raconte aujourd'hui Raymond Marcillac, alors à la direction des actualités télévisées. Comme le rappelle M. Coulomb-Gully " le SLII reste le symbole de la censure qui a pesé sur la télévision durant les années de Gaulle". Mais les réformes voulues par le pouvoir sont loin de remporter l'adhésion des journalistes. Certains - et parmi eux des gaullistes convaincus - supporteront mal la pression permanente que les hommes politiques continuent d'exercer sur la rédaction (quelquefois dans une certaine confusion) et préfèrent s'éloigner d'eux-mêmes. C'est le cas de J. Sallebert, qui cède son fauteuil de directeur de l'information pour un poste à New York, ou de G. De Caunes qui, après être revenu pendant trois ans au JT entre 1963 et 1966, s'envole pour le Mexique faire une série de reportages à son compte. D'autres sont écartés comme Claude Darget. Des mouvements de grève, comme celui de 1962, viennent faire monter encore un peu plus le trouble qui s'installe entre le pouvoir et ce qu'elle croit être "sa" télévision. La transformation de la RTF en ORTF, censée être plus autonome "est démentie par son contenu même (puisque) les directeurs et directeurs adjoints sont nommés par le gouvernement" poursuit M. Coulomb-Gully. Les élections présidentielles de 1965 vont permettre pour la première fois de voir le visage des membres de l'opposition : Jean Lecanuet et François Mitterrand. Mais la tourmente de mai 1968 met en lumière les effets de la censure car l'événement lui-même sera très mal couvert, ou bien de façon partisane. Et seules des personnalités "autorisées" sont invitées à s'exprimer à chaud. La rédaction du JT se divise entre grévistes et un groupe de non-grévistes qui continuent de présenter le journal. La victoire écrasante du parti gaulliste aux élections législatives se traduit par un vigoureux retour de bâton : les contestataires sont limogés, mutés ou mis en "congé spécial" et certaines émissions supprimées dont Cinq colonnes à la une. Réforme ou "voix de la France" En 1969, un vent de libéralisation souffle avec l'arrivée à Matignon de Jacques Chaban Delmas. Sa décision de réorganiser l'ORTF prend forme et les informations des deux chaînes sont désormais confiées à deux nouveaux responsables indépendants l'un de l'autre qui ne sont plus sous l'autorité du directeur de la Télévision. Pierre Desgraupes prend ses fonctions sur la "Une" et Jacqueline Baudrier sur la "Deux". Cette réforme prend acte de la concurrence qui peut maintenant s’articuler entre les deux chaînes, d'autant que le publicité de marque, introduite depuis 1968, fait de la télévision une vitrine possible pour des intérêts privés. Les événements de politique intérieure sont largement traités, et l'on verra désormais des membres de l'opposition ainsi que des représentants syndicaux venir s'exprimer en direct. Mais la récréation est de courte durée. En 1972, l'ORTF acquiert un nouveau statut avec un PDG nommé pour trois ans par le gouvernement. Député de la majorité gaulliste et premier à occuper ce poste, Arthur Conte supprime les unités autonomes d'information dont la responsabilité retourne dans le girond des directeurs de chaînes, remercie Pierre Desgraupes et promeut Jacqueline Baudrier à la tête de la Une. Le suivent dans la foulée - par démission ou limogeage - de nombreux journalistes comme Jean Lanzi, Joseph Pasteur, Philippe Gildas ou Etienne Mougeotte. C'est en tout 200 journalistes et techniciens qui seront ainsi mutés ou invités à quitter l'ORTF. A la tête de l'État, ça bouge aussi et Jacques Chaban Delmas cède la place à Pierre Messmer. Le président Pompidou enfonce le clou en déclarant à la presse le 21 septembre 1972 "Qu'on le veuille ou non, le journaliste de télévision n'est pas un journaliste comme les autres. Il a des responsabilités supplémentaires. (…) la télévision est considérée comme la voix de la France, et par les Français et par l'étranger. Et cela impose une certaine réserve". De fait, des dissensions vont s'installer entre le PDG de l'ORTF et le ministre de l'Information, qui vont conduire en octobre 1973 au double remplacement d'Arthur Conte par Marceau Long et du ministre en question Philippe Malaud par Jean Philippe Lecat. La décentralisation est amorcée et conduit en 1974 à la décision de créer six (puis finalement sept) unités fonctionnelles autonomes à compétence et responsabilité propres dont les trois chaînes de télévision existantes. Il s'en suit la nomination de présidents et de directeurs de chaînes : respectivement Jean Cazeneuve et Jean Louis Guillaud sur TF1, Claude Contamine et Claude Lemoine pour FR3, tandis que pour FR2, le nouveau président Marcel Jullian s'entoure d'un collège de responsables et appelle Jacques Sallebert à la direction de l'information (qui y restera jusqu'à sa démission en 1976) avec Christian Bernadac comme rédacteur en chef. Tentative de libéralisation Cette transformation, initiée avant la mort du président Pompidou, coïncide avec l'arrivée de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée. Le nouveau président affiche une volonté de libéralisme et s'adresse en ces termes aux nouveaux directeurs le 8 janvier 1975 sur les ondes de France-Inter, soit deux jours après le lancement des nouvelles entités : "Les pouvoirs publics n'entendent par gérer (votre société) par votre intermédiaire. Ils vous en délèguent entièrement le rôle jusqu'à expiration de votre mandat … sans jamais intervenir dans vos responsabilités de gestion de l'information. Si vous constatez un manquement à ce principe, que je considère comme fondamental, je vous demande de m'en rendre compte". Si le ton "Giscard" tranche avec ses prédécesseurs, "la réalité des faits dément souvent les déclarations de bonnes intentions. C'est particulièrement vrai pour les phases de tension politique durant les phases de campagne électorales" rapporte M. Coulomb-Gully. Et les avis sont encore partagés. Ainsi J. Sallebert se souvient de ne pas avoir eu les coudées franches pour exercer sa fonction " on m'a empêché de prendre les collaborateurs que je voulais : Gildas, parce qu'il était communiste (???), Gicquel, parce qu'il était avec moi à France Inter, Michel Bassi, parce qu'il était chabaniste. Finalement on m'a rendu la vie impossible et je suis resté pendant un an dans un placard. Je me suis occupé d'un club de la presse. J'ai finalement démissionné (en 1982)." Pour Roger Gicquel, présentateur du 20h de TF1 de 1975 à 1980, "l'éclatement de l'ORTF, voulu par V. Giscard d'Estaing, est bien une tentative de libéralisation, et je là parle de mon vécu qui est sous l'autorité de Giscard (…) la promesse que tout journaliste qui aurait eu à se plaindre d'une pression gouvernementale devrait venir s'en plaindre à lui-même (Giscard). Vous devez vous souvenir que cela était dans sa campagne électorale puis réitéré au moment de son élection". D'ailleurs, poursuit R. Gicquel "L'apparition des spécialistes (P. Duhamel, de la Taille, de Closets, etc) finalement libres de leurs propos, me semble en effet bien appartenir à la réforme dont on parle". Rompre avec le passé Les élections de mai et juin 1981 avec l'arrivée d'un président de gauche au pouvoir et d'une assemblée nationale à ses couleurs, va encore bouleverser le paysage audiovisuel et faire resurgir le rôle et le problème de l'indépendance des journalistes des chaînes de télévision. Nommé ministre de la Communication (avant de devenir plus tard président de l'INA), Georges Fillioud est lui même un ancien journaliste. Malgré la volonté affichée de ce dernier de ne pas se lancer dans une chasse aux sorcières, des changements s'opèrent dans les directions de chaînes et de nouveaux directeurs de l'information sont nommés : F-H de Virieu arrive sur A2 et Maurice Séveno sur FR3, tandis que J-M Cavada, nommé en janvier 1981 en remplacement de Henri Marque, est maintenu sur TF1. La Haute Autorité de la communication audiovisuelle, créée par le nouveau gouvernement, vise à veiller "au bon équilibre de l'information, à son indépendance, à son pluralisme" comme le stipule la loi de 1982. Elle doit être selon les propos du président Mitterrand lors de sa mise en place "la clef de voûte du nouvel édifice de l'audiovisuel, le signe le plus visible de la rupture avec le passé". L'appréciation aujourd'hui est plus nuancée. Pour R. Gicquel parti du 20h à la fin des années 80 : "Je sais seulement que (cette période) a été la panique, des luttes de clan, une période mauvaise, ce n'est pas à moi de vous en parler. Il a fallu se ressaisir". Pour Claude Sérillon, arrivé à la télévision en 1973, le bilan a été plutôt positif : "Il faut rendre à la gauche ce qu'elle a permis : je crois que le changement de 1981 et Mitterrand ont largement permis un élargissement de la liberté de l'indépendance de l'audiovisuel. C'est indéniable ! Même si par la suite on peut dire ce qu'on veut sur la gestion de l'Etat, il y a eu d'énormes progrès". Même tonalité chez Christine Ockrent, présentatrice du 20h d'A2 de 1981 à 1985 : "La réforme en France est difficile et se fait plutôt par grosses secousses. Le début des années 80 a été extraordinairement libératoire en matière d'information à la télévision. Tous ceux qui l'ont vécu peuvent en témoigner. Celui qui a beaucoup changé dans tout cela, c'est Desgraupes qui faisait son énième retour à la télévision. Il avait du caractère (il avait très mauvais caractère) et en particulier, il envoyait assez volontiers promener les hommes politiques quand il estimait qu'ils s'occupaient de ce qui ne les regardait pas. Et je crois que sa personnalité et notre succès, et l'assurance que nous a donné le succès, et la force collective de la rédaction de la Deux à l'époque ont fait que nous avons pu incarner une certaine liberté de ton, et de liberté tout court, retrouvée vis à vis des pouvoirs politiques". En octobre 1984, Desgraupes atteint la limite d'âge professionnelle (65 ans) et cède son fauteuil à Jean Claude Héberlé, désigné par la Haute Autorité. Mais la liberté là encore se paie et selon Ch. Ockrent, le style Desgraupes "n'a peut-être pas été totalement étranger à la manière dont le pouvoir de l'époque en 84 a voulu se débarrasser de lui". Ultimes secousses Un retour de balancier se fait malgré tout sentir lors de la victoire de la droite aux élections législatives du 16 mars 1986 et de la première cohabitation. La Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), nouvelle autorité de régulation qui se substitue à la Haute Autorité, désigne de nouveaux présidents de chaînes. J-M Cavada passe à la direction de l'information sur A2, bientôt remplacé par Elie Vanier. Sur TF1, privatisé en avril 1987, Michèle Cotta est nommée directrice de l'information. Mais avec la période 81-86, toujours selon Ch. Ockrent, "c'est vrai qu'il y a eu là un palier qui a été franchi, même s'il y a eu ensuite quelques épisodes de crispations, on est jamais revenu totalement à ce qu'avait pu être le système disons de sujétion de l'information à la télévision par le pouvoir politique". Un dernier mouvement institutionnel va encore s'opérer avec le retour de la gauche au pouvoir au moment du deuxième septennat de F. Mitterrand en 1988. Le 13 février 1989, la CNCL s'efface au profit du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), institution encore en fonction à ce jour. Le CSA nomme la même année Philippe Guilhaume président des chaînes publiques, lequel nomme les directeurs généraux et les directeurs de programme d'A2 et FR3. L'arrivée de nouvelles chaînes hertziennes et câblées et la place croissante de la publicité dans les programmes au cours de la décennie qui va suivre ne fait qu'accentuer le phénomène de libéralisation du paysage audiovisuel. Pour Claude Sérillon : "Je crois que lorsqu'on a commencé à introduire la publicité et que sont apparues les chaînes commerciales, le politique a perdu son importance, y compris chez nous. Les alternances politiques ont également joué leur rôle avec des tentatives de retour en arrière, des nominations etc... Et puis on s'est rendu compte que cela ne servait à rien et que ça ne sert à rien. Vous pouvez nommer qui vous voulez, de toutes façons ? Il faut savoir que tout ça fait partie de sociétés de programmes et de spectacles énormes qui ne se gèrent pas politiquement, mais économiquement. Je crois que c'est irréversible". Jean SEGURA
1. Marlène Coulomb-Gully : Les Informations Télévisées. PUF, 1995
L'histoire du Journal télévisé à la télévision française : les chapitres PARCOURIR LE MONDE EN TRENTE MINUTES FILMER PLUS LOIN, MONTRER PLUS VITE DES HOMMES ET DES FEMMES DANS LA LUCARNE COUPS DE CISEAUX ET COUPS DE GUEULES DU PREMIER JOURNAL À L'INFO MULTI-CHAINES
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