Jean SEGURA                                                                                    

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Special effects Titan vig

Ray Harryhausen, Le Titan des Effets Spéciaux
Un film hommage de Gilles Penso, 2011

Special Effect Titan promo

Vendredi 14 décembre 2012

Le Titan des Effets Spéciaux (Ray Harryhausen : Special Effects Titan, 2011) documentaire de 90 minutes réalisé par Gilles Penso (historien, journaliste spécialisé dans le fantastique et les effets spéciaux) et produit par Alexandre Poncet (réalisateur, compositeur, journaliste)  a été présenté pour la première fois à Paris dans le cadre du Conservatoire des techniques de la Cinémathèque française (atelier animé par Laurent Mannoni), le 14 décembre 2012.
La  projection a été suivie d’un débat avec les auteurs et Tony Dalton, coproducteur du documentaire, auteur de plusieurs livres avec Ray Harryhausen (voir liste) et conservateur de la Ray & Diana Harryhausen Foundation. Venu spécialement de Londres,  Tony avait apporté avec lui quelques figurines originales issues des collections privées de Ray Harryhausen, à la plus grande joie du public de la Cinémathèque.
Pour ceux veulent tout savoir du maître des effets spéciaux des films comme Les Soucoupes volantes attaquent, Le 7e Voyage de Sinbad ou Jason et les Argonautes,   le documentaire de Gilles Penso est une somme chronologique détaillée et « définitive » qui inclue les débuts avec Willis O’Brien et George Pal, la fabrication dans son garage de ses premiers court métrages d’animation et la réalisation de plus en plus complexes des quelques quinze long métrages qui ont assi sa célébrité de 1949 à 1981 (voir liste).

On mesurait mal à quel point l’œuvre de Harryhausen avait influencé les grands réalisateurs de films fantastiques d’aujourd’hui (Tim Burton, James Cameron, Joe Dante, Terry Gilliam, Peter Jackson, John Landis, Steven Spielberg, Guillermo del Toro) , idem pour l’animation avec John Lasseter, Nick Park (Wallace et Gromit) ou Henry Selick (L’Etrange Noël de M. Jack) ; tous venus témoigner de leur admiration pour celui qu’ils considèrent comme leur père spirituel.

Les superviseurs d’effets visuels Dennis Muren, Phil Tippett, Ken Ralston et Jim Danforth apportent aussi leurs commentaires de professionnels sur la technique d’animation stop motion utilisée par Ray dans les années 1950 à 1970, technique  qui constitue une référence à la fois esthétique et historique comparée aux techniques numériques d’aujourd’hui.
Ils restent tous admiratifs de ce parcours hors norme ; c’est pourquoi comme on peut le découvrir dans le film, nombre d’entre eux étaient réunis autour de leur mentor à Londres lorsque, le 29 juin 2010, le Bafta (The British Academy of Film & Television Arts) a remis à Ray Harryhausen un prix spécial pour l’ensemble de sa carrière au cours d’une cérémonie émouvante.

Parmi les autres témoignages à retenir, celui du compositeur Christopher Young qui donne un éclairage sur le rôle joué par Bernard Herrmann dans la bande son de quatre des films de Harryhausen. Et encore quelques évocations comme celle de son plus ancien et fidèle ami, le romancier de science fiction Ray Bradbury (décédé le 5 juin 2012), ou des souvenirs de tournage pittoresques des actrices Martine Beswick (One Million Years B.C.) et Caroline Munro (The Golden Voyage of Sinbad).
Enfin, Vanessa Harryhausen, propre fille de Ray, vient faire état - avec Tony Dalton - du rôle que la Ray & Diana Harryhausen Foundation devra jouer dans la préservation du patrimoine que laissera un jour à la postérité le « Titan des effets spéciaux ».

Jean SEGURA

Gilles Penso et Alexandre Poncet Tony Dalton et Gilles Penso

A gauche Gilles Penso et Alexandre Poncet, respectivement réalisateur et producteur du film Le Titan des Effets Spéciaux (Ray Harryhausen : Special Effects Titan, 2011) - A droite, Tony Dalton, coproducteur du film et conservateur de la Ray & Diana Harryhausen Foundation, avec Gilles Penso. © Frenetic Arts & The Ray & Diana Harryhausen Foundation.

Pour en savoir plus sur le film
http://www.rayharryhausen.com/news-events.php

Chronologie de tous les films de Ray Harryhausen.
http://www.rayharryhausen.com/filmography.php

 

A travers le récit ci-après, je propose de parcourir la trajectoire unique du grand artiste qu’a été Ray Harryhausen dans l’histoire du cinéma fantastique.

J. S.

 

Novembre 1999 - décembre 2012

RAY HARRYHAUSEN, ENTRE CYCLOPES ET GORGONES

par Jean SEGURA

Ray Harryhausen Jean Segura Londres 1996

Ray Harryhausen et Jean Segura à Londres le 31 octobre 1996 (photo prise par Sylvie Jacquemin).

Passionné de mythologie et de contes fantastiques, de romans de Jules Verne et de science fiction, Ray Harryhausen a signé les effets spéciaux d'une quinzaine de longs métrages considérés aujourd'hui comme des classiques. Il m'a reçu chez lui à Londres, le 31 octobre 1996. J'ai réalisé ce portrait à la suite d'une longue interview réalisée dans une atmopsphère cordiale pendant laquelle le maître incontesté de l'animation par stop-motion raconte son fabuleux parcours artistique inspiré par l'œuvre de Gustave Doré. Il s'est aussi confié sur sa passion du cinéma, et sur l'arrivée du numérique dans la fabrication des effets visuels des films d'aujourd'hui.

Ce portrait, actualisé en 2012, a fait l'objet d'une publication sur le site Film.festivals.com et de l'article Ray Harryhausen et ses Argonautes dans Libération le 19 novembre 1999, à l'occaion du 8e Festival Jules Verne, à Paris.

Technical Effects Ray Harryhausen

 

 

LE MAITRE DU STOP MOTION ANIMATION : REPERES

Né le 29 juin 1920 à Los Angeles, il vit dans le quartier de Baldwin Hills puis à Malibu. Etudes en Californie du Sud au collège Audubon puis au Manual Arts High School où il se passionne pour la reconstitution d’animaux préhistoriques. Il étudie ensuite les arts dramatiques, la photographie et la sculpture au City College (Université) de Los Angeles, puis la réalisation artistique et le film à l’Université de Southern California. Ami du romancier scénariste Ray Bradbury (1920-2012) depuis l’âge de 17 ans. A reçu un Oscar à Hollywood en 1991. Vit toujours à Londres (où il a emménagé en 1961) près de Holland Park. Est souvent invité dans des conventions de SF et des festivals. Une bonne partie des maquettes et décors miniatures de ses films sont exposés en permanence au Studiotour, parc à thème situé dans les studios de Babelsberg près de Berlin. Il aura fêté ses 92 ans en 2012.

 

King Kong 1933 Grauman Program

King Kong Grauman Poster

Programme du Grauman Chinese Theatre lors de l'avant première de King Kong le Vendredi 24 mars 1933. La sortie nationale se fera le 10 avril 1933

Affiche de George Edward Holl réalisée spécialement pour l'avant première au Grauman's Chinese Theatre en 1933

KING KONG ENTRE LES MURS DU CHINESE THEATER

King Kong (en 1933) produit et réalisé par Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper est le premier film parlant utilisant des effets spéciaux (réalisés par Willis O’Brien - 1886–1962) à base d’animation de figurines articulées image par image (stop motion). « Willis O’Brien est vraiment le père du stop motion aux Etats-Unis puisqu’il a commencé en 1915 et qu’il a créé les effets spéciaux d’une première version cinématographique du Monde Perdu de Conan Doyle réalisé par Harry Hoyt en 1925 ». La première de King Kong a lieu dans le mythique Grauman Chinese Theater de Hollywood Boulevard.

« Les abords de la scène était décorée façon jungle avec des flamands roses vivants et une maquette grandeur nature du buste de Kong lui-même » écrit le jeune Ray Harryhausen qui n’avait alors que treize ans.

« L’atmosphère était chargée de mystère, de spectacle et d’anticipation (…). Le gorille géant avait fait plus que stimuler mon intérêt – déjà très fort – pour les techniques d’animation ; mais va développer chez moi le goût quasi fétiche de les expérimenter avec une caméra 16 mm ».

Sous le choc des images du grand singe amoureux, il ne peut encore imaginer que quinze ans plus tard il deviendra le premier assistant de son créateur, Willis O’Brien, et qu’il le dépassera en prouesses techniques et en créativité. Il commence alors à fabriquer et animer ses propres dinosaures dans son garage.

Willis O'Brien 1925 George Pal Puppetoons

Willis O'Brien et une des maquettes de The Lost World (1925)

George Pal à la conception de la série animée Puppetoons en 1941

WILLIS O’BRIEN et GEORGE PAL, LES DEUX MENTORS

Après plusieurs années d’admiration du travail accompli par O’Brien sur King Kong, Harryhausen prend un jour son courage à deux mains et rencontre le maître pour lui montrer des échantillons de ses propres réalisations. Il n’a lors que seize ans et reçoit de son mentor ses premiers encouragements et continuera régulièrement de lui montrer ses progrès accomplis pendant la période de la guerre. En 1938-39, Harryhausen dessine ses premiers croquis pour des projets de films d’animation : créature sur Jupiter, David et Goliath ou Evolution, une évocation des animaux de la préhistoire dont quelques plans ont été tournés.

 

Ces tentatives, même inabouties, vont cependant lui servir à s’introduire auprès de George Pal (1908–1980), autre créateur de l’animation image par image. Cet animateur d’origine hongroise commence en 1941 à réaliser des séries de courts métrages pour la Paramount, les Puppetoons (qui vont durer jusqu’en 1949) et prend Ray Harryhausen comme assistant pendant deux ans. Mais la seconde Guerre Mondiale fait rage et le jeune homme rejoint l’Army Signal Corp en 1942 puis passe dans la Special Service Division, unité de Frank Capra (1897-1991) dans laquelle il reste jusqu’en 1945. Il travaille sur la série documentaire Why We Fight series (Pourquoi nous combattons, Frank Capra, Anatole Litvak, Anthony Veiller, 1945) notamment sur les traveling mattes qui combinent entre elles les prises de vues d'archives.

 

 

 

Why We Figtht

 

 

Why We Figtht : Film en 7 parties dont 6 dans la version distribuée en France (Pourquoi nous combattons) : «1. Prelude to War » (Prélude à la guerre) 1942 ; «2. The Nazis Strike » (Les nazis attaquent) 1943 ; «3. Divide and Conquer » (Diviser pour régner) 1943 ; «4.The Battle of Britain » (La Bataille d'Angleterre) 1943 ; «5. The Battle of Russia » (La Bataille de Russie) 1943 - «6.War Comes to America » (L'Amérique en guerre vous parle) 1945 - «7.The Battle of China » 1944 - Episode supplémentaiire «8. Tunisian Victory » 1944.

 

Pourquoi nous combattons Frank-Capra US-Army-

Why We Fight série de films de soutien à l'effort de guerre de l'US Army réalisés par Frank Capra pendant la 2e Guerre Mondiale

Affiche française du film Pourquoi nous combattons de Frank Capra. Affiche Imprimeries Réunies de Lyon

Frank Capra, major de l'Army Signal Corps, réalise la série Why We Fight (Pourquoi nous combattons, 1945). Photo : Everett

 

Humpty Dumpty Mother Goose Stories Little Miss Muffet

Humpty Dumpty, l'un des quatre contes de Mother Goose Stories

Ray Harryhausen avec ses personnages de Mother Goose Stories

Little Miss Muffet, l'un des quatre contes de Mother Goose Stories

FAIRY TALES UNE ŒUVRE DE JEUNESSE

Démobilisé, il entreprend un voyage en Floride, Cuba et Mexico et se remet au travail. C’est à partir d’un stock de pellicule Kodachrome presque périmé qu’il réalise dans son garage de Baldwin Hills dans des conditions très précaires quatre petites histoires (Little Miss Muffet, Old Mother Hubbard, The Queen of Hearts et Humpty Dumpty) de deux à trois minutes chacune. Réunis sous le titre générique de Mother Goose Stories, ces quatre contes vont former un film d’animation de 10 mn avec une bande son.

Cela a constitué le premier épisode d’une série de Fairy Tales (contes de fées) de cinq à dix minutes chacun diffusés dans des écoles, clubs, bibliothèques, paroisses à travers toute l’Amérique ; certains d’entre eux ayant même été traduits dans plusieurs langues. Little Red Hidding Hood est un autre épisode de dix minutes : « tandis que je me chargeais du tournage en 16 mm, de la construction, de la conception des marionnettes et du scénario et de la production générale, ma mère s’occupait de faire les costumes et d’habiller les personnages et mon père, pendant son temps libre, m’apportait une aide précieuse dans la fabrication des armatures et des accessoires  ». Une amie, auteur et actrice, Charlotte Knight lui propose d’être la narratrice de ce nouveau conte. Mother Goose, Little Red Hidding Hood et trois autres histoires seront ainsi diffusées par Bailey-Film Associates.

Little Red Riding Hood Rapunzel Hansel and Gretel

Little Red Riding Hood l'un des Fairy Tales de Ray Harryhausen

Les Fairy Tales de Ray Harryhausen : générique de Rapunzel

Hansel and Gretel, réalisé en 1951 pour la série Fairy Tales

En effet le succès rencontré par les deux premiers épisodes encourage Ray Harryhausen à poursuivre : Hansel and Gretel et The Story of Rapunzel sont deux petits films qu’il réalise en 1951. Harryhausen y affine là une technique déjà utilisée qui consiste à faire passer un personnage d’une expression faciale à une autre en huit images. Enfin, plus élaborée que les précédents, The Story of King Midas est le dernier opus de la série des Fairy Tales.

 

Mighty Joe Young title

Mighty Joe Young still

Mighty Joe Young one sheet

Mighty Joe Young (Monsieur Joe, 1949) de Ernest B. Schoedsack. Premier long métrage dans lequel Ray Harryhausen va exercer ses talents auprès de son maître Willis O'Brien

Mighty Joe Young (Monsieur Joe, 1949), affiche américaine one sheet

MONSIEUR JOE , UN PETIT FRERE DE KING KONG

Mais son talent d’animateur, Ray Harryhausen va le mettre surtout au service de la fabrication de trucages pour le long métrage. « Cela se passait dans une période – les années 30 et 40 - où peu de gens s’intéressaient à l’animation de figurines». Près de quinze ans après King Kong, Willis O’Brien s’adresse à celui qu’il appelle affectueusement le « petit Harry » pour être l’un de ses deux assistants sur le tournage de Monsieur Joe (Mighty Joe Young, 1949). Cet énième avatar de « singe géant » co-produit par Cooper (cette fois-ci avec John Ford) et réalisé par Schoedsack vaudra à O’Brien un hommage tardif (il ne l’avait pas eu pour King Kong) avec un Oscar en 1949. Occupé aux tâches de conception et d’organisation, O’Brien laisse l’essentiel de l’animation (85%) du gorille aux bons soins de Harryhaussen qui s’est à cette occasion lié les faveurs de Merian C. Cooper, ce dernier trouvant son travail très fluide. Après ce succès, Harryhausen, O’Brien et sa femme Darlyne vont entamer ensemble un nouveau projet pour la Paramount, TheValley of the Mist, autre histoire de dinosaures, mais qui n’aboutira pas.

monstre des temps perdus

beast from 20000 fathoms

beast from 20000 fathoms still

The Beast From 20000 Fathoms (Le Monstre des Temps Perdus, 1953) produit par la Warner, affichette belge.

The Beast From 20000 Fathoms (Le Monstre des Temps Perdus, 1953) de Eugène Lourie. Ray Harryhausen signe à part entière les effets spéciaux.

 

RENCONTRE AVEC CHARLES SCHNEER, UN ALTER EGO

Ray Harryhausen va désormais voler de ses propres ailes. La mode est aux monstres arrivés de l'espace par une météorite ou réveillés du fond des mers par les expériences atomiques des hommes qui bouleversent leurs écosystèmes. Les studios nippons Toho avec leur réalisateur vedette Ishirô Honda vont créer Godzilla, dont le premier opus sort en salle au Japon le 3 novembre 1954. Mais aux USA, la Warner a pris de l'avance avec la production en 1953 du film Le Monstre des temps perdus (The Beast From 20000 Fathoms) réalisé par Eugène Lourié (1903-1991), un directeur artistique et chef décorateur d'origine russe, venu en France en 1921 qui a travaillé avec Abel Gance, Georges Lacombe, Jean Renoir, Victor Tourjansky et Marcel L'Herbier. C'est l'occasion pour Harryhausen de signer pour la première fois les effets spéciaux d’un long métrage. Un reptile géant sorti de la mer envahit New York et s’énerve contre tout ce qui peut défier sa grande taille : phare, immeubles, montagne russe dans un parc d'attraction. Harryhausen y développe une technique simplifiée d’animation de marionnettes image par image combinée avec des acteurs pris dans des décors réels. « J’ai ensuite utilisé cette technique de base, très économique, au cours de toute ma carrière ».The Beast From 20000 Fathoms sort aux Etats-Unis le 13 juin 1953, pratiquement trois ans avant le Godzilla de Honda (27 avril 1956) sur les écrans américains.

Le Monstre vient de la mer (It Came From Beneath the Sea) de Robert Gordon (1913-1990) en 1955 avec Kenneth Tobey (La Chose d'un autre monde [The Thing] d'Howard Hawks), est le premier des trois films de la Columbia pour laquelle Ray Harryhausen signe les effets spéciaux. C'est l'Océan Pacifique qui accouche cette fois d'une pieuvre géante dérangée par les explosions nucléaires (on la comprend !). La ville martyre sera San Francisco dont le célèbre Golden Bridge ainis que l'Embarcadero (port d'embarcation des ferries) et son beffroi sont sérieusement malmenés par le céphalopode furieux. Ce dernier n’a que six tentacules et n'est donc qu'un "sixtopus". Son démiurge Ray Harryhausen s'en explique "[c'était] pour faire des économies, car de toute façon on ne voit jamais les huit [tentacules] sortir de l’eau en même temps, alors à quoi bon en faire deux de plus ! » De mauvaises langues ont même prétendu n'en avoir compté que cinq. "Si le budget avait été encore plus bas, j'aurais même fait un triprode" ironise Ray Harryhausen.

It Came From Beaneath the Sea

It Came From Beaneath the Sea still

It Came From Beaneath the Sea one sheet

It Came From Beneath the Sea (Le Monstre vient de la mer, 1955) de Robert Gordon. Image du "sixtopus" de Ray Harryhausen n'a que six tentacules dans la scène de l'Embarcadero : photogramme de la version colorisée de 2007.

It Came From Beneath the Sea (Le Monstre vient de la mer, 1955), affiche américaine one sheet, premier film de Ray Harryhasen produit par la Columbia

C’est sur It Came From Beneath the Sea que Harryhausen va se lier avec un jeune producteur américain du nom de Charles H. Schneer (1920–2009). « Nous partagions beaucoup de points de vue, en particulier sur le cinéma ». Les deux hommes vont désormais travailler ensemble pendant plus de 25 ans. Sur les quinze longs métrages que Ray Harryhausen va signer, douze seront produits par Charles Schneer avec quelquefois Harryhausen lui-même comme co-producteur. Ray Harryhausen qui souhaite travailler en toute indépendance, s'accorde avec la Columbia pour louer une grande boutique sur Washington Boulevard à Culver City dans laquelle il installe son studio de tournage et ses maquettes. Pendant sept mois, il tourne ses séquences de It Came From Beneath the Sea tandis que Charles Schneer gère la partie studio à Hollywood.

Seule parenthèse dans son partenariat avec Schneer, il collabore une dernière fois avec son vieux maître Willis O’Brien en 1956 pour The Animal World, documentaire de Irwin Allen qui comporte une séquence préhistorique pour laquelle O’Brien fait les dessins des dinosaures et Harryhausen l’animation. Peu connu en Europe, ce film est pourtant sorti en France et en Belgique en 1956 sous le titre Le Mondes des animaux.

Le Monde des Anumaux

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The Animal World (Le Mondes des Animaux, 1955), affiche française "pantalon"

Ray Harryhausen réalise l'animation des dinosaures dans The Animal World de Irwin Allen, 1955

The Animal World 1955), affiche américaine one sheet.

Mais le film qui a commencé à rendre populaire Ray Harryhausen (du moins en France) est certainement Les Soucoupes volantes attaquent (Earth vs the Flying Saucers) de Fred Sears (1956), mille fois copié ou parodié. Harryhausen crée les soucoupes sur un modèle très simple et très crédible. Il reproduit avec minutie les bâtiments de Washington DC (Maison Blanche, Capitole, obélisque du Washington Memorial, etc) menacés par les envahisseurs extra-terrestres. Il trouve le moyen de donner l’illusion que les OVNI volent vraiment au-dessus de la tête des gens et que les immeubles de Washington sont détruits. Ainsi pour animer les briques qui s’effondrent, il va les attacher à des fils rendus invisibles à l’image. « Il suffisait d’une seule personne pour ça, plutôt qu’une trentaine ». J’ai détruit Washington DC longtemps avant Independance Day (Roland Emmerich, 1996, sorti sur les écrans l'année même de notre interview NDLA).

C'est le deuxième film Columbia produit par Charles Schneer. «La façon dont nous travaillions (…) était assez inhabituelle. Dans tous les films que nous avons faits ensemble, je développais le scénario dans ses premières phases. Notre principal effort n’était pas de faire simplement un film à effets spéciaux, mais d’utiliser ces effets pour créer l’illusion du conte de fée, d’un film où se mêlent le mythe et la fantaisie. Nous étions les vrais auteurs, impliqués à toutes les étapes du film : il s’occupait de la production et moi des aspects techniques. Ces films, produits avec des budgets assez modestes, devaient être réalisés dans des contraintes économiques très serrées. C’est pourquoi (à part pour Le Choc des Titans, produit par la MGM) il n’y jamais eu de stars dans nos films ».

 

Les Soucouoes volantes attaquent

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Earth vs the Flying Saucers (Les soucoupes volantes attaquent, 1956), affiche française 120 x 160, dessin Kerfyser

Earth vs the Flying Saucers Fred Sears (1956) "J’y ai détruit Washington DC longtemps avant Independance Day" déclare Ray Harryhausen

20 Millions Miles to Earth Ymir color

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20 Millions Miles to Earth Ymir

20 Millions Miles to Earth Amazing Stories

 

 

 

20 Millions Miles to Earth - (A des millions de km de la Terre, 1957) de Nathan Juran - En haut : Image et générique de la version colorisée de 2007. En bas le Ymir, un reptile venu de l'espace au pied du Colisée. Un clin d'œil à King Kong.

20 Millions Miles to Earth de Nathan Juran, 1957. Les routes de l'espace mènent à Rome. Couverture du magazine pulp Amazing Stories

Troisième et dernier film en noir et blanc pour la Columbia, A des millions de km de la Terre (20 Millions Miles to Earth) est réalisé par Nathan Juran (1907–2002) en 1957. Après New-York, San Francisco et Washington DC, Ray Harryhausen nous transporte à Rome en Italie. Un vaisseau spatial américain revenu d'une mission sur la planète Vénus, s'abîme dans la Méditerranée, libérant avant de couler l'embryon d'une créature reptilienne recueilli par une famille de pêcheurs. Le reptile vénusien, appelé le Ymir, va grandir très vite, s'échapper de sa cage et semer la panique dans la ville éternelle : il va lutter avec un éléphant, détruire les colonnes du Temple de Saturne, dévaster le Forum romain et un pont du Tibre pour finalement se réfugier sur le Colisée qu'il escalade, tel King Kong sur l'Empire State Building.

Avec le Ymir, Ray Harryhausen s'est appliqué à fabriquer une créature fantasque, mi-humanoïde mi-reptile, sans tomber dans l'écueil des monstres de films d'horreur qu'il n'aime pas spécialement. L'hommage au personnage de King Kong est évident : un animal sauvage hors norme, extrait de son milieu naturel contre son gré et incapable de s'intégrer dans le milieu hostile du monde moderne, finit tragiquement en victime de ceux-là mêmes (les hommes) qui étaient allés le chercher. La ville de Rome, avec son histoire et ses monuments antiques, apporte une poésie supplémentaire à ce film, tranchant avec les grandes cités américaines. Harryhausen se rapproche de l'Europe où il va bientôt s'installer pour travailler et pour vivre.

Les trois films noir et blanc produits par la Columbia seront colorisés en 2007, notamment pour l'édition en DVD et Bluray. Dans les bonus, Harryhausen raconte que ces films n'ont été tournés en noir et blanc qu'à cause des raisons budgétaires qui règnaient au début des années 1950 dans les productions de série B. Lui, qui aurait préféré tourner en couleur se félicite aujourdhui de cette colorisation. Les années suivantes vont le libérer de cette contrainte : Ray Harryhausen donne le meilleur de lui-même en signant des œuvres dans lesquelles il construit des univers de « fantaisie » peuplées de créatures mythologiques ou imaginaires, souvent inspirées de Gustave Doré pour lequel il ne cache pas son admiration. Ce sont les années londonniennes.

Ray Harryhausen and squeletton

Ray Harryhausen et la maquette du squelette de The Seventh Voyage of Sinbad, film produit par la Columbia en 1958

LONDRES ET LE PASSAGE A LA COULEUR

Cyclope, dragon et aigle à deux têtes dans The Seventh Voyage of Sinbad (Le 7ème Voyage de Sinbad, 1958) de Nathan Juran, Lilliputiens et géants dans Les Voyages de Gulliver (1960) de Jack Sher, crabe et insectes monstrueux dans L’Ile mystérieuse de Cy Endfield (1961), Colosse de bronze en mouvement et bataille de squelettes dans Jason et les Argonautes de Don Chaffey (1963). Tournés en couleur et enrichis par la musique inquiétante et grandiose de Bernard Herrmann (1911–1975) qui travaille à la même époque pour Hitchcock, ces films deviendront des classiques du cinéma fantastique. « Bernard Herrmann avait un esprit merveilleux pour la fantaisie, et sa musique collait parfaitement avec le type de films que nous faisions  ». C’est à partir de cette période que Harryhausen vient s’installer à Londres (pour Gulliver et L’Ile mystérieuse), ville plus proche des lieux de tournage (Espagne, Italie). Il y vit encore aujoud’hui.

Il 7 Viaggio-di-Sinbad -manifesto Italia

Cyclops

7th Voyage of Sinbad title

 

Sindbad and squeletton

The Seventh Voyage of Sinbad de Nathan Juran (1958) - Premier film en Technicolor de Ray Harryhausen Affiche italienne

The Seventh Voyage of Sinbad de Nathan Juran (1958) - " Kerwin Matthews était un maître était un maître dans l'art de maintenir l'illusion de regarder exactement dans la direction du squelette"

SINBAD, CYCLOPE ET SQUELETTE

Deuxième collaboration avec Nathan Juran à la Columbia pour Ray Harryhausen, The Seventh Voyage of Sinbad, avec le fringant Kerwin Matthews (1926–2007) dans le rôle titre, est le premier film qu'il tourne en Technicolor. Et à la fin des années 1950, la couleur coûte cher pour un film de série B. "J'avais peur que cela ampute notre budget propre sur les effets spéciaux, raconte Harryhausen, mais nous avons eu finalement plus d'argent pour ce film que sur les précédents [650  000 dollars, contre 200  000 dollars dans It Came From Beneath the Sea ]". Charles Schneer a bien manœuvré. D'ailleurs pour des raisons économiques, les extérieurs sont tournés en Espagne : l'Alhambra de Grenade, les grottes de Arta à Majorque, aux allentours de Madrid et sur la plage de S'Arago au sud de Cadaques (Costa Brava), un décor que la production va réutiliser dans les deux films suivants : The Three World of Gulliver et Mysterious Island. Quelques scènes, inclus l'intérieur de la lampe magique, ont été finalisés à Hollywood.

Pour le vaisseau de Sinbad, Charles Schneer a obtnenu l'autorisation d'utiliser la réplique de la caravelle de Chrtisophe Colomb, la Santa Maria, ancrée dans le port de Barcelone, "bien qu'il n'ait pas vraiment l'allure d'un bateau arabe". La quantité massive des effets mis en œuvre dépasse largement ceux de 20 Millions Miles to Earth où le seul personnage animé est Ymir (plus l'éléphant dans les scènes de contact entre les deux créatures). Dans The Seventh Voyage of Sinbad : il y a le Cyclope cornu, la danseuse aux quatre bras et à la queue de serpent (snakewoman), le dragon enchaîné dans la grotte,le rapace à deux têtes appelé Roc (versions bébé et adulte), le squelette armé d'un sabre et d'un bouclier, l'arbalète géante, les accessoires et les décors associés aux marionnettes, etc. Huit scènes d'incrustation par travelling matte ont été tournés par le procédé sur fond bleu de Technicolor à Londres.

Les scènes de Cyclopes tournées sur la plage de S'Arago - pour les extérieurs - sont très impressionnantes et ont de quoi marquer les jeunes spectateurs qui découvrent pour la première fois en 1958 des effets spéciaux aussi surprenants. Pourtant un film tout aussi spectaculaire avait su mettre en scène quatre ans auparavant le cyclope Polyphème, personnage tiré de L'Odyssée d'Homère dans le film Ulisse (Ulysse, 1954) des réalisateurs italiens Mario Camerini (1895–1981) et Mario Bava (1914–1980, non crédité) avec la star américaine Kirk Douglas. Mais la technique employée par le truqueur Eugen Schüfftan (1893–1977) consistait surtout à filmer d'une part l'acteur de péplums Umberto Silvestri (1915–2009) - interprétant Polyphème - maquillé avec une prothèse faciale et encontrechamps Kirk Douglas/Ulysse et ses compagnons ; une technique aux antipodes du concept de maquette de créature animée chère à Harryhausen.

La séquence spectaculaire pendant laquelle le personnage de Sinbad (Kerwin Matthews) se bat contre un squelette est une prouesse technique très innovante car les mouvements de l'acteur et ceux de la marionnette du squelette - filmée en stop motion séparément - devaient être parfaitements coordonnés tout en gardant la même fluidité. Comme Harryhausen le raconte lui-même c'était sa première expérience de "contact" en un acteur en chair et une créature animée séparément. Cela concerne les plans rapprochés où l'on voit très nettement qu'il s'agit bien d'un être humain et pas de sa réplique en latex, comme Harryhausen avait l'habitude de le faire pour les plans larges, dans les scènes avec le cyclope par exemple, ou avec le Ymir dans 20 Millions Miles to Earth.

La chorégraphie du combat était d'abord répétée avec beaucoup de minutie par Kerwin Mattthews avec son entraîneur le maître d'escrime olympique Enzo Musumeci Greco  ; ce dernier prenant la place du squelette. C'est au cours d'une réunion avec Enzo Musumeci Greco que Harryhausen va mettre au point la synchronisation entre cette chorégraphie et la manière dont il pourrait animer le squelette exactement comme il le souhaitait. "Je devais m'assurer que Kerwin passe toujours derrière le squelette et jamais devant, car j'aurais dû alors faire appel à un travelling matte, ce que je voulais éviter". Lorsque Kerwin mimait seul le combat, Enzo, à la cadence de huit temps, frappait dans ses mains pour piloter l'acteur dans l'enchaînement tous les gestes nécessaires, ni trop vite, ni trop lentement. En outre "Kerwin [ Matthews ] était un maître dans l'art de maintenir l'illusion de regarder exactement dans la direction du squelette ».

Lorsque tous les plans du combat étaient parfaitement calés, on filmait dans son décor réel (la grotte de Arta à Majorque) une version en noir et blanc du combat entre Kerwin et Enzo, puis on tournait la version couleur avec Kerwin exécutant exactement la même chorégraphie, mais sans Enzo. La version noir et blanc serait utilisée comme guide pour caler avec précision l'animation du squelette miniature en studio, et la couleur version serait utilisé plusieurs semaines plus tard pour l'assemblage final des deux prises de vue : acteur live et animation stop motion.

La scène du squelette, scandée par le "concerto pour castagnettes" et xylophone de Bernard Herrmann (référence à la Danse Macabre de Camille Saint Saëns) est restée pour les amateurs et les admirateurs de Ray Harryhausen un pur moment d'anthologie dans l'histoire du film fantastique. Une prouesse qu'il renouvellera dans Jason et les Argonautes, augmentant la difficulté en multipliant squelettes et acteurs ; préfigurant ce que les techniques par ordinateur vont apporter avec les images de synthèse trente ans plus tard.

Bernard Herrmann Title

Bernard Herrmann a composé la musique de quatre films de Ray Harryhausen : générique de Jason and the Argonauts

Quant au compositeur américain Bernard Herrmann, connu pour son travail avec Orson Welles (Citizen Kane, Magnificent Ambersons), John Brahm (Hangover Square), Joseph Mankiewicz (The Ghost and Mrs Muir), Robert Wise (The Day The Earth Stood Still), et Alfred Hitchcock (The Man Who Knew Too Much, The Wrong Man, et plus tard Vertigo, North By Nortwest, etc), sa méthode de travail suppose de dimensionner l'orchestre en fonction des dominantes dramatiques de chaque film. Dans The Seven Voyage l'orchestre traditionnel va être augmenté d'une large section de percussion et d'instruments à vents, bois et cuivres.

The 3 Worlds of Gulliver still 1

The Three Worlds of Gullliver Title

 

The 3 Wolrds of Gulliver still 2

The 3 World of Gulliver BO

 

 

 

The Three World of Gulliver - (Les Voyages de Gulliver, 1960) de Jack Sher- La majorité des scènes truquées consiste à assembler dans une même scène des personnages de tailles différentes

The Three World of Gulliver -1960- Pochette du disque de la bande originale signée Bernard Herrmann

GULLIVER ET SES TRAVELLING MATTES

Fort du succès populaire qu’ils rencontrent, Charles Scheerr et Harryhausen, poursuivent avec The Three World of Gulliver (Les Voyages de Gulliver, 1960) réalisé par Jack Sher, cinquième film du tandem produit par la Columbia. Kerwin Matthews, à peine sorti du personnage de Sinbad endosse le rôle du Docteur Lemuel Gulliver. Dans ce film, sans doute moins original et moins spectaculaire que le précédent (il n'y a pratiquement pas de monstres, à part un crocodile géant), mais tout aussi poétique, Ray Harryhausen va plutôt s'employer à rendre cinématographiques les descriptions du célèbre roman de Jonathan Swift, jamais porté à l'écran, sauf en dessin animé par Dave Fleischer en 1939 : Gulliver's Travels.

Le travail des scènes truquées de The Three World of Gulliver consiste à assembler dans une même scène des personnages de tailles différentes : Gulliver et les minuscules Lilliputiens, Gulliver dans le monde des géants, etc. Une scène met Gulliver aux prises avec le crocodile, figurine animée modélisée par Harryhausen. Les plans sont tournés séparément, puis réunis par incrustration. Ray Harryhausen va se servir d’un procédé "au sodium" mis au point par les laboratoires Rank en Angleterre (une raison supplémentaire pour travailler à Londres) qui utilise une prise de vue sur fond jaune, plutôt que la technique plus ancienne sur fond bleu. Cela permet notamment d’obtenir, grâce à un prisme, une incrustation optique instantanée des deux images : par exemple l’une de l’acteur sur fond jaune, et l’autre du décor. « Ce qu’on fait aujourd’hui très facilement avec l’ordinateur ». Le fond jaune rend les travelling mattes plus simples à mettre en œuvre que les fonds bleus qui excluent l’emploi de surfaces bleues (vêtements ou autres), et rend l’effacement des câbles plus facile aussi. Employée encore sur les films suivants, la technologie sur fond jaune sera finalement abandonnée pour revenir au fond bleu.

Mysterious Island Crab

Mysterious Island title

Mysterious Island Bee

Mysterious Island quad

 

 

Mysterious Island Bridge

Mysterious Island , 1961: le crabe a été acheté par Ray Harryhausen dans le "food departement" du magasin Harrods à Londres

Mysterious Island (L'Île Mystérieuse, 1961) réalisé par Cy Enfield. En haut : affiche britannique - En bas : décor en matte painting de l'île, une rérérence manifeste au paysage de King Kong (1933)

JULES VERNE INSPIRATEUR DE FANTASMES

Schneer et Harryhausen s'attaquent ensuite au chef d'œuvre de l'écrivain français Jules Verne (1828-1905) avec Mysterious Island (L'Île Mystérieuse, 1961) réalisé par Cy Enfield. L'action se déroule pendant la guerre de sécession aux Etats-Unis. Des prisonniers nordistes parviennent à s'enfuir en ballon pour s'échouer sur une île qui va leur réserver bien des surprises. Les animaux qu'ils rencontrent - un crabe, des abeilles, le phororhacos (un oiseau préhistorique mi-poulet, mi-rapace), l'ammonite sous la mer (céphalopode avec une coquille) - sont atteints de gigantisme. Ray Harryhausen se charge de réaliser de mémorables rencontres entre ces pauvres humains naufragés et leurs hôtes démesurés. Pour la petite histoire, le tourteau n'est pas une maquette en latex. Il a été acheté chez Harrods à Londres, a été vidé de sa chair et nettoyé avant d'être équipé d'une armature interne articulée. Dans le film, le malheureux crustacé finira tout de même à la casserole… dans l’eau bouillante d‘un geyser !

Jason et les Argonautes 120 x 160 Ch. Rau

Jason and the Argonautes still 1

Jason and the Argonautes title

 

Jason and the Argonautes still 2

Jason et les Argonautes Don Chaffey (1963) - Affiche française 120 x 160, Ch. Rau

Jason and the Argonauts de Nathan Juran (1958) - Ray Harryhausen mutliplie les effets et les rend plus complexes.

JASON MULTIPLIE LES EFFETS

Jason and the Argonauts (Jason et les Argonautes, 1963) de Don Chaffey est sans doute le film préféré de Ray Harryhausen. Abordant l'un des mythes les plus célèbres de la mythologie grecque avec l'histoire de la quête de la Toison d'or par le courageux marin Jason, le maître accompli "es effets spéciaux" qu'il est maintenant va lui permettre d'exprimer son talent au plus haut niveau. Changement de décor, la production dirigée par l'éternel Charles Schneer pour la Columbia se transporte en Italie, tourné au sud de Naples notamment sur la plage de Palinuro et sur le site archéologique de Paestum (Campanie)  ; tous les intérieurs ayant été tournés à Rome. Les scènes majeures à retenir : Poseïdon, joué par un acteur, protège du naufrage le navire des Argonautes contre les récifs, l'attaque des harpies (chauve-souris humanoïdes), le combat contre le dragon multitêtes, et celui entre hommes et squelettes et la séquence animée la plus longue du film qui met en scène le géant de bronze Talos, inspiré par le grandiose Colosse de Rhodes. A ce propos, l'une des sept merveilles du monde sous l'antiquité avait déjà inspiré la production de péplum en Italie avec Le Colosse de Rhodes (Il colosso di Rodi) de Sergio Leone, sorti en 1961.

Talos poursuivant les Argonautes sur la plage est très impressionnant est une séquence fait écho au combat contre le Cylope dans The Seventh Voyage of Sinbad , mais Ray Harryhausen considère que la séquence des squelettes reste comme la plus élaborrée. "Si l'on fige une image [ de cette séquence] on dénombre sept squelettes combattant trois hommes ; chaque squelette ayant trois appendices [tête plus quatre membres] à modifier pour chaque image, soit 35 mouvements animés en même temps - ce qui n'avait jamais été fait auparavant - le tout synchronisé avec trois acteurs en mouvement. On comprend pourquoi cette séquence a demandé quatre mois et demi de tournage". D'ailleurs, Ray Harryhausen raconte qu'il ne comptait pas son temps. "Ce qui coûtait cher dans la production, c'étaient les tournages avec les acteurs et les figurants. Moi je travailais tout seul dans un studio, quelque fois assisté d'un électricien". A comparer avec les centaines d'artistes et de techniciens qui œuvrent, surtout depuis les années 1980-1990 à la frabrication des effets visuels des films aussi bien par des moyens traditionnels (effets de plateau, dits "effets spéciaux"), animatronique (voir le travail de Stan Winston dans Jurassic Park par exemple), ou par images de synthèse et autres effets visuels numériques (animation 3D, matte-painting compositing, etc).

Pour revenir à la partition de Bernard Herrmann dans Jason (sa dernière collaboration avec Schneer et Harryhausen), elle semble s'emboîter dans la marche, puis l'attaque, des squelettes, mêlant tour à tour terreur et ironie dans un "Scherzo Macabre" où le xylophone mime les tintements des ossements entrechoqués.

First Men on Moon Still 1

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Premiers hommes sur la Lune Affiche Soubie 120

 

 

 

First Men in the Moon (Les Premiers hommes dans la Lune, 1964) de Nathan Juran : quatre ans avant la vraie marche d'Armstrong et Aldrin

Les Premiers hommes dans la Lune de Nathan Juran, 1964. Affiche française 120 x 160 cm de Roger Soubie.

PREMIERS PAS SUR LA LUNE

First Men in the Moon (Les Premiers hommes dans la Lune, 1964), inspiré du roman éponyme de Herbert George Wells, est la troisième tentative (réussie cette fois ci, voir encadré ci-dessous) de porter à l'écran un roman de science fiction du grand écrivan britannique qu'il admire autant que Jules Verne. C'est la troisième et dernière collaboration du couple Schneer/Harryhausen avec le réalisateur d'origine romano-autrichienne Nathan Juran.

Quelques années avant les premières explorations par les sondes lunaires russes et américaines de la décennie 1960, et les extraodinaires missions habitées de 1969 à 1972, l'imagination des auteurs fantastiques et de science fiction du XIXe siècle reste la source d'inspiration majeure de nombreux cinéastes des décennies 1950 et 1960. Il faudra attendre 2001 l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick (1968) pour avoir une vision réaliste de ce qu'est vraiment la Lune : un astre froid et désertique dépourvu de tout être vivant, d'une "Magnificient Desolation" comme le dira plus tard l'astronaute Buzz Aldrin, deuxième homme à avoir posé le pied sur la Lune. A l'opposé de cette vision peu romantique des astronomes et ingénieurs de la NASA, Ray Harryhausen, préfére replacer le voyage lunaire dans l'imaginaire baroque de l'époque victorienne de son auteur, H.G. Wells. Le Voyage dans la Lune de 1902, dont Harryhausen est aussi l'admirateur, n'est pas loin non plus, même si le film de Nathan Juran ne peut rivaliser avec le chef d'œuvre mondialement reconnu du grand Georges Méliès.

La Lune décrite par H.G. Wells, et revisitée par Harryhausen, est un astre respirable pour les humains débarqués de leur astronef en forme de ballon de football. Ses habitants civislisés sont des Sélénites humanoïdes avec des têtes d'insecte. Hélas, le maquillage grotesque des acteurs font qu'ils semblent sortis d'une parade de carnaval et paraissent donc peu convainquants. D'autres séquences mettent en présence les visiteurs de la Terre avec des champignons géants et surtout une chenille hors norme, dont la maquette animée est filmée stop motion et combinée au plans des acteurs par la technique de Dynamation (voir ci-dessous). Les décors, paysages de surface et sous-sol caverneux, notamment le Palais du Grand Lunar (escalier monumental sans-fin entouré de cristaux géants) ont été entièrement construits dans les studios Shepperton près de Londres. Mais malgré les efforts déployés par la Columbia, First Men in the Moon ne réussi pas à acquérir la facture des films précédents de Ray Harryhausen et paraît, en outre, une pâle copie du chef d'œuvre de Mélies. C'est peut-être pourquoi ce film reste aussi son moins emblématique.

REMAKE, DINOSAURES, 2 FOIS SINBAD et CLASH DE FIN

Le film suivant est la seule exception dans la collaboration entre Harryhausen et Schneer : One Million Years B.C. (Un million d’années avant Jésus-Christ) de Don Chaffey (1966) produit par Michael Carreras pour la Hammer et distribué par la 20 Century Fox.. Il s'agit du remake du film One Million B.C (Tumak fils de la jungle, 1940) de Hal Roach Sr. Raquel Welch reprend le rôle tenu par Carole Landis en femme préhistorique et John Richardson celui de Tumak, incarné par Victor Mature.

Suivent The Valley of Gwangi (La Vallée de Gwangi) de James O’Connolly (1969 - Warner), deux autres épisodes de Sinbad - The Golden Voyage of Sinbad (Le Voyage fantastique de Sinbad) de Gordon Hessler (1974- Columbia) et Sinbad and the Eye of the Tiger (Sinbad et l’œil du Tigre) de Sam Wanamaker (1977 - Warner-Columbia) et, dernier en date, The Clash of Titans (Le Choc de Titans) de Desmond Davis (1981- Metro Goldwyn Meyer).

Ray Harryhausen se retire des écrans après Le Choc des Titans, reconnaissant d'une certaine manière qu'il avait fait son temps. D'autres professionnels des effets spéciaux ont déjà pris le relais avec des techniques plus modernes comme Douglas Trumbull dans 2001, l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, Rencontres du 3e Type de Steven Spielberg (1977), Star Trek : le film de Robert Wise (1979), John Dykstra, Richard Edlund, Dennis Muren, Ken Ralston et leurs coéquipiers de ILM (Industrial Light and Magic) affairés à la réalisation des effets visuels les plus spectaculaires de la fin de la décennie 1970 pour La Guerre des Etoiles de George Lucas (1977) et sa séquelle L'Empire contre-attaque d'Irvin Kershner (1980). Les studios Disney préparent de leur côté un film qui va révolutionner l'histoire des effets spéciaux en introduisant pour la première fois de façon massive des images par ordinateur : Tron de Steven Lisberger qui sortira en 1982.

Le travail solitaire de Ray Harryhausen va céder la place à des équipes organisées de maquettistes, d'animateurs, de matte-painters et compositeurs d'images. L'animation stop motion n'a pas encore totalement disparu, comme le prouve le travail de Phil Tippett dans L'Empire contre-attaque, mais elle s'incrit dans un travail d'ensemble de plusieurs techniques articulées entre elles. Aux effets spéciaux de tournage (maquettes, animatronique, etc) s'ajoutent désormais les effets visuels numériques (sur ordinateur) qui viennent eux-mêmes se substituer progressivement aux effets optiques réalisés auparavent en postproduction.

Avec le recul, on ne doit pas oublier le travail de fond accompi par le vieux "Ray" dans la culture des effets spéciaux qui a précédé la période "numérique" qui a explosé à la fin du XXe siècle. Son talent unique réside dans cette alliance entre une sensibilité artistique inspirée des graveurs et peintres du XIX e siècle (Gustave Doré) et une capacité de mettre en œuvre de nouveaux moyens de truquer. Chaque film est pour Ray, une occasion d’inventer ou d’innover.

Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de ces technologies numériques actuelles, il répond « elles sont merveilleuses, mais faire un film de fantaisie ne nécessite pas d’avoir l’air réel comme un « kitchen-sink drama » (dans le texte, voir plus bas), mais au contraire de donner l’impression d’un rêve, et je pense que si vous essayez de rendre trop réel un film de fantaisie, vous perdez la poésie que vous vouliez atteindre ».

 

Jean SEGURA

Ray Harryhausen : Récompenses


1991 : Gordon E. Sawyer Award  (Oscar)  – 64 th Academy Awards (1992) – 30 mars 1992 Dorothy Chandler Pavilion, Los Angeles

2010 : Bafta (The British Academy of Film & Television Arts) spécial, 29 juin 2010.

2011 : Lifetime Achievement award by the VES (Visual Effects Society)

Gordon Sawyer Award

Ray Harryhausen à Los Angeles le 30 mars 1992, recevant l'Oscar du Gordon E. Sawyer Award 1991

Un million d'années avant JC France

One Million BC Still 1

One Million BC title

One Million BC Still 2

 

One Million Years B.C. (Un million d'années avant Jésus-Christ, 1966), affiche française 120 x 160, anonyme

One Million Years B.C de Don Chaffey, produit par la Hammer et distribué par 20th Century Fox, remake du film, One Million B.C., de Hal Roach, 1940

Valley of Gwangi still 1

Valley of Gwangi title

Valley of Gwangi + Ray

Valley of Gwangi poster Frank McCarthy

 

 

 

The Valley of Gwangi (La Vallée de Gwangi) de James O’Connolly (1969 - Warner). En bas, Ray Harryhausen plaçant ses figurines dans le décor en miniature

The Valley of Gwangi (La Vallée de Gwangi) de James O’Connolly (1969 - Warner), design de l'affiche américaine de Frank McCarthy.

DYNAMATION , SUPERDYNAMATION, DYNARAMA

Dans Le 7ème voyage, Harryhausen va mettre au point une séquence unique dans laquelle un acteur se bat contre un squelette, prouesse qu’il reprendra dans Jason en multipliant squelettes et acteurs, préfigurant plus de trente ans avant ce que les techniques par ordinateur vont apporter, notamment avec les images de synthèse. Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de ces technologies numériques actuelles, il répond « elles sont merveilleuses, mais faire un film de fantaisie ne nécessite pas d’avoir l’air réel comme un « kitchen-sink drama » (dans le texte, voir plus bas), mais au contraire de donner l’impression d’un rêve, et je pense que si vous essayez de rendre trop réel un film de fantaisie, vous perdez la poésie que vous vouliez atteindre ».

Dynamation, SuperDynamation, Dynarama ? « Charles Schneer et moi pensions que nous devions donner un nom à cette technique d’animation dimensionnelle (en volume) combinée avec l’action réelle : en contractant l’association des deux mots « dynamique » et « animation » cela donnait Dynamation, terme utilisé pour la première fois dans Le 7ème Voyage de Sinbad. Ce qui nous nous a motivé à trouver ce néologisme est qu’il nous permettait de nous démarquer de celui de « dessin animé » que les journalistes et critiques de l’époque employaient pour parler de la technique du stop motion – terme qu’en fait seuls les techniciens connaissaient ».

Puis les gens de la publicité ont voulu donner encore plus d’emphase avec les deux films suivants (Gulliver et L’Ile Mystérieuse) en donnant le nom de Super Dynamation. Quant au terme Dynarama (qui n’a plus rien à voir avec l’animation), c’est un procédé lié au format Vista. Avec Gulliver, Harryhausen va se servir de la technique du « travelling matte » (différent du split screen) qui permet de mélanger par trucage optique deux photographies dans une même image avec des objets ou des personnages en mouvement : ce qui donne l’impression que ces acteurs ou objets (pris à des moments ou sur des lieux différents) sont dans le même décor.

Il va se servir aussi d’un procédé dit au sodium mis au point par les laboratoires Rank en Angleterre (une raison supplémentaire pour venir à Londres faire Gulliver) qui utilise une prise de vue sur fond jaune, plutôt que la technique plus ancienne sur fond bleu. Cela permet notamment d’obtenir, grâce à un prisme, une incrustation optique instantanée des deux images : par exemple l’une de l’acteur sur fond jaune, et l’autre du décor. « Ce qu’on fait aujourd’hui très facilement avec l’ordinateur ». Le fond jaune rend les travelling mattes plus simples à mettre en œuvre que les fonds bleus qui excluent l’emploi de surfaces bleues (vêtements ou autres), et rend l’effacement des câbles plus facile aussi. Employée encore sur les films suivants, la technologie sur fond jaune sera finalement abandonnée au profit du fond bleu.

Dans ses derniers films, il va encore affiner ses techniques de stop motion jusqu’à Le Choc des Titans. Il n’a jamais travaillé pour la télévision.

 

Golden Voyage of Sinbad Spain poster

Golden Voyage of Sinbad still 1

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The Golden Voyage of Sinbad (Le Voyage fantastique de Sinbad) de Gordon Hessler (1974- Columbia) El Viaje Fantastico de Simbad - affiche espagnole

The Golden Voyage of Sinbad (Le Voyage fantastique de Sinbad) de Gordon Hessler (1974- Columbia)

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Sinbad and the Eye of the Tiger title

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Sinbad and the Eye of the Tiger (Sinbad et l’œil du Tigre) de Sam Wanamaker (1977 - Warner-Columbia)

Sinbad and the Eye of the Tiger (Sinbad et l’œil du Tigre) de Sam Wanamaker (1977 - Warner-Columbia) - Affiche britannique Quad.

The Clash of Titans CD

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The Clash of Titans title

 

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The Clash of Titans (Le Choc de Titans) de Desmond Davis (1981- Metro Goldwyn Meyer) - Boîte du CD de la bande originale

The Clash of Titans (Le Choc de Titans) de Desmond Davis (1981- Metro Goldwyn Meyer)

 

COMMENT ORSON WELLES ET GEORGE PAL ONT PROPULSE RAY DANS LA LUNE…

Depuis longtemps Harryhausen voulait adapter un des romans de H.G.Wells (1866-1946) qu'il admire autant que son aîné Jules Verne comme écrivain de science fiction. Alors qu'il est encore sous les drapeaux, il conçoit l'idée d'adapter The War of Worlds (La Guerre des Mondes) écrit par Wells en 1898 et dont l'action originale se situe dans l'Angleterre victorienne. On se souvient que le jeune Orson Welles (1915-1985), trois ans avant Citizen Kane, s'était fait connaître pour ses adaptations radiophoniques d'œuvres littéraires chez CBS. Un certain 30 octobre 1938, veille d'Halloween, Welles avait mis en scène La Guerre des Mondes avec une telle conviction qu'on raconte encore de nos jours (légende ou réalité) que des habitants du New Jersey crurent réellement à une invasion par des Martiens, créant par leur comportement un mouvement de panique en cascade dans d'autres états, Pennsylvannie, Dakota du Sud (voir la description détaillée qu'en fait André Bazin dans son ouvrage Orson Welles (Editions Chavanne, 1950). Influencé par le canular inattendu d'Orson Welles, Harryhausen trouve bonne l'idée transposer l'action en Amérique dans une version cinématographique.

Pendant plusieurs semaines de l'année 1949, juste après Mighty Joe Young, Ray Harryhausen, entreprend des recherches documentaires, s'inspirant notamment des couvertures d'Amazing Stories, réalise au fusain une douzaine de dessins, puis un storyboard décrivant une scène au cours de laquelle des êtres humains subissent l'attaque d'un Martien tentaculaire dans la cave d'une ferme. C'est à partir de ce storyboard qu'il réalise un bout d'essai de 4mn en 16 mm couleur ; premier travail technique qu'il va montrer très vite à Jesse Lasky Jr (1910-1988 - scénariste en titre de Cecil B. de Mille, et fils du co-fondateur de Paramount Pictures). Lasky Jr qui semble séduit l'encourage et garde le bout d'essai. Mais au bout de six mois d'attente, rien ne bouge chez les moguls de la Paramount, qui possède pourtant les droits des romans de H.G. Wells.

Ray Harryhausen écrit alors à Orson Welles, persuadé que l'ancien animateur radio de CBS se délecterait à revisiter La Guerre des Mondes sur grand écran. Car désormais Welles est un cinéaste prodigue qui a réalisé sept films depuis 1941 dont Citizen Kane, Magnificent Ambersons, The Lady from Shanghaï et Macbeth, non sans toutes sortes de difficultés : rappelons que le négatif de Citizen Kane (1941) a failli être brûlé à la demande de William Randolph Hearst, alors tout puissant de son influence sur les tycoons d'Hollywood et que La Splendeur des Ambersons (1942), remonté par Robert Wise à la demande du studio (en l'absence d'Orson Welles), a été un échec commercial qui aura coûté cher à la RKO. Néanmoins, en 1950, Orson Welles s'épuise à la réalisation d'un huitième film, Othello, deuxième adapation de Shakespeare commencée en 1949, production cahotique dont le tournage en Italie et au Maroc est constamment ralenti par des problèmes financiers. Pour y surseoir, Welles va faire l'acteur sur d'autres productions donnant la réplique à Tyrone Power successivement dans deux films à costumes de la Twentieth Century Fox : Prince of Foxes (Echec à Borgia, 1949) d'Henry King, et The Black Rose (La Rose Noire, 1950) d'Henry Hathaway. Au printemps 1950, le tournage d'Othello s'achève enfin, mais Orson Welles va devoir s'ateler à un montage compliqué de 2000 plans (contre 500 dans Citizen Kane) qui va durer près de deux ans entre Rome, Londres et Paris. Othello sera présenté la première fois en clôture du Festival de Cannes 1952 qui lui attribuera un grand prix ex-aequo. C'est dans ce contexte mouvementé que la missive de Ray Harryhausen arrive chez le fanstasque Orson Welles …et restera sans réponse. Rendez-vous manqué ?

Début octobre 1950, Harryhausen se retourne alors vers Frank Capra, toujours disposé à recevoir son ancien assistant de Why We Fight. Ils évoquent ensemble le devenir de l'industrie du cinéma et en viennent à parler de George Pal, producteur de Destination Moon (Destination … Lune ! 1950), réalisé par Irving Pichel. Pal, le vieux mentor passionné comme lui de films fantastiques, semble l'homme désigné pour vendre son projet de The War of Worlds à la Paramount. Mi-octobre il retrouve Pal dans les prestigieux studios de Melrose Avenue, lui montrant ses travaux personnels d'animation (Mother Goose Stories et le premier des Fairy Tales), y compris les dessins préparatoires, le story board et le bout d'essai de 4 mn de l'attaque des Martiens. Les deux hommes s'apprécient mutuellement et discutent pendant des heures technique d'animation de figurines image par image pour le projet The War… . Quelques semaines plus tard, après visionage du matériel laissé par Harryhausen, George Pal émet des réserves, notamment sur Little Red Riding Hood, tout en lui demandant encore de garder ses films pour les montrer à d'autres huiles qui pourraient l'engager pour le projet de film d'animation Tom Thumb. Mais il semble clair qu'aux yeux de Pal le jeune Ray (qui a alors 30 ans) n'est pas encore exactement à la hauteur d'un long métrage fantastique pour une Major du prestige de la Paramount.

Avec ou sans Harryhausen, George Pal veut d'ailleurs faire aboutir The War of Worlds auprès du studio, bataillant avec un autre producteur (Robert Fellows), concurent sur le même projet chez Paramount. Le jeu se poursuivra dans la cour des grands : deux ans plus tard, George Pal, vainqueur, finit par produire The War of Worlds (1953) réalisé par Byron Haskin, avec Gene Barry (futur Homme à la Rolls de la série TV des années 1960). La production prévoit une équipe de nombreux techniciens chargés des effets spéciaux et des effets visuels optiques. Harryhausen referme temporairement la parenthèse Wells, reste beau joueur en reconnaissant le résultat spectaculaire de Pal sur les "machines volantes" du film et retourne à ses Fairy Tales.

Des années plus tard, Harryhausen va se pencher sur un autre roman de H.G. Wells avec The Time Machine écrit en 1985. Hélas, c'est encore son vieux mentor George Pal qui le coiffe au poteau en produisant et réalisant The Time Machine (La Machine à explorer le Temps, 1960) avec Rod Taylor et Yvette Mimieux, pour la Metro Goldwyn Meyer qui en avait racheté droits d'adaptation. Ray Harryhausen va alors se tourner vers une œuvre moins connue du romancier anglais : The First Men in the Moon écrit en 1901, soit tout juste un an avant la sortie du film de Georges Méliès, Le Voyage dans la Lune (1902) adapté lui-même du roman de Jules Verne datant de 1865, De la Terre à la Lune.

 

J. S.

Off the Record avec Ray Harryhausen

Illustration Harryhausen

Tyrannosaurus kills the Triceratops Illustration de Ray Harryhausen pour le projet du film The Valley of the Mist de la Paramount. Autographe sur une carte du Momi éditée à l'occasion de l'expositon Creatures of Fantasy au MOMI (Musée du cinéma), Londres Octobre 1989- mars 1990. © Ray Harryausen.

Fantasy versus Kitchen Sink Drama

« Nous avons fait des films pendant une période où les effets spéciaux n’étaient pas très populaires. C’était des films de fantaisie (fantasy) alors que les « Kitchen Sink Drama *» étaient à la mode, des œuvres déprimantes du genre La Solitude du coureur de fond (The Loneliness of the Long Distance Runner, Tony Richardson, 1962). »

(*) Par ce terme Kitchen Sink (évier de cuisine) Ray Harryhausen s'en prend aux drames empreints de réalisme social réalisés par la génération des "jeunes gens en colère" (Young Angry Men) du cinéma britannique au tournant des décennies 1950-1960 : Tony Richardson, Lindsay Anderson, Karel Reisz, Clive Donner.

"Au Royaume-Uni, le terme Kitchen Sink a été utilisé pour la première fois en 1954 par le critique David Sylvester qui, à propos d'un tableau de John Bratby, s'était écrié : “[Il] nous emmène des studios vers la cuisine [et décrit ses sujets] comme un inventaire qui inclut tous les genres de nourritures et de boissons, chaque ustensile et outil, les meubles ainsi que les couches pour bébé. Tout sauf l'évier de la cuisine ? Si, l'évier de la cuisine aussi. » " (tiré de De John Grierson à Danny Boyle, Naissance et postérité de la British New Wave par Yannick Deplaedt, Cadrage Eté 2009)

Un fils spirituel : Phil Tippett, artisan de Jurassic Park

« J’ai rencontré Phil Tippett, il a fait de très beaux films de dinosaures pour la télévision ; il a un magnifique sens du mouvement des animaux ». « Les images de synthèse sont un juste un nouvel outil et elles sont tout à fait impressionnantes dans des films comme Jurassic Park (Steven Spielberg, 1993). Et j’ai été épaté, je dois le reconnaître, car je leur trouvais auparavant plutôt un look de dessin animé, avec un rendu plat. Jurassic Park m’a prouvé que j’avais tort et a constitué une avancée considérable pour ce genre de film . »

Copier la réalité n'est pas une nécessité

« Mais, comme je l’ai déjà dit, je ne pense pas que le but de ces films soit de vouloir copier la réalité. C’est comme demander à un peintre de reproduire un paysage comme avec un appareil photo. Mais les dinosaures n’existent plus et si on peut les représenter de la façon la plus réaliste, c'est mieux. Mais pour un sujet de fantaisie, l’animation stop motion conserve quelque chose d’étrange et d’onirique qui échappe au réalisme (…) D’ailleurs certains animateurs ou marionnettistes comme Jim Henson (1936-1990) ou d’autres continuent d’utiliser des marionnettes pour faire des films. Toutes les techniques peuvent co-exister. Il est vrai que l’ordinateur permet de tout faire : on peut voir un homme voler, cela n’a plus rein d’exceptionnel ! ».

Jugements sur Independence Day et le remake de King Kong (1976)

« ID4 (Independence Day, Roland Emmerich, 1996) est un film très impressionnant avec toutes les techniques d’effets visuels et sonores des années 1990. Mais si vous commencez à analyser le scénario, alors là … (…) Le premier King Kong avait une naïveté qu’on ne peut plus reproduire aujourd’hui. Le remake (King Kong, John Guillermin, 1976) m’a laissé froid, car il n’y plus le sens de la fantaisie, même entre le gorille et la jeune femme (Jessica Lange). »

Gustave Doré, "premier directeur artistique pour le cinéma"

« Dans le premier (King Kong, 1933), il y avait tous ces éléments de fantaisie comme les dinosaures et cette jungle mystérieuse (…) Gustave Doré, dont Willis O’Brien disait qu’il était son mentor, est pour moi le premier directeur artistique pour le cinéma car tout le monde à Hollywood s’en est inspiré pendant les années 30 et 40 comme Cecil B. De Mille avec ses films bibliques. Doré est vraiment le père de ce métier. »

De Ronald Colman à Bruce Willis…le vieux Hollywood : royaume de l’Amérique

« Le vieux Hollywood nous avait habitué à nous donner de l’espérance à travers ses films : comédies musicales, stars  ; Hollywood était une espèce de "royaume de l’Amérique". Nous avions des Ronald Colman, Cary Grant ou David Niven. Tout ça est fini maintenant, il n’y a plus de héros gentlemen de cette trempe (à part quelques exceptions). Bruce Willis, Silvester Stallone et Arnold Schwartzenegger sont les trois héros de la génération d’aujourd’hui. »

Pessimisme

« Je suis inquiet aujourd’hui de la nature des sujets qui sont portés au cinéma  : tout y est violent, dépressif et exagérément négatif, comme Reservoir Dogs (Quentin Tarentino, 1992), par exemple (…) Les films ont leur part de responsabilité dans le phénomène de détérioration de notre société. Nous étions tellement impressionnés par les films que nous voyions et la manière dont les actrices comme Veronica Lake ou Betty Grable s’habillaient ou se coiffaient. L’influence du cinéma s’exerce encore de nos jours, mais le bombardement permanent de violence et de sexe contribue de détériorer la société en laissant croire à la jeunesse qu’il n’y a rien d’autre. »

Steven Spielberg et George Lucas

« J’aime bien Spielberg et Lucas qui ne font pas des films dépressifs, très populaires. Ceux de Spielberg sont très différents et uniques. »

Direction d'acteurs ?

« Je n’ai jamais dirigé de films moi-même car je crois que je n’aurais pas su diriger les acteurs, je ne suis pas assez psychologue. Je n’ai jamais eu la patience. Cela demande certaines qualités que je n’ai pas. »

Crab of London

Petite anecdote : « le crabe géant animé dans L’Ile Mystérieuse a été acheté chez Harrods (le célèbre grand magasin de Londres). »

Meilleur film

« Mon film préféré est Jason (et les Argonautes) qui est le plus accompli. »

Propos recueilli par Jean SEGURA

Harryhausen atelier

POUR EN SAVOIR PLUS

LES LIVRES

Fantasy Scrapbook 1972 Fantasy Scrapbook 1978
Fantasy Scrapbook 1981 Fantasy Scrapbook 1989

Ray Harryhausen (en anglais)

Film Fantasy Scrapbook – Par Ray Harryhausen – Introduction Ray Bradbury –. AS Barnes and Co, 1972, relié, 118 pages.

Film Fantasy Scrapbook – Par Ray Harryhausen – Introduction Ray Bradbury –New Edition with a Color Portefolio of Special Effects from The Golden Voyage of Sinbad. AS Barnes and Co, 1972-1978, 142 pages.

Film Fantasy Scrapbook – Par Ray Harryhausen – Introduction Ray Bradbury –3rd Edition , Revised and Enlarged, featuring Clash of the Titans - AS Barnes and Co, 1972-1981, 150 pages.

Ray Harryhausen Film Fantasy Scrapbook – Par Ray Harryhausen – Introduction Ray Bradbury – Titan Books, London, 1989, 142 pages.

Animated Life Art of Ray Harryhausen
A century of stop-animation Fantasy Scrapbook 2011

Ray Harryhausen et Tony Dalton (en anglais)

Ray Harryhausen's Fantasy Scrapbook: Models, Artwork and Memories from 65 Years of Filmmaking - par Ray Harryhausen et Tony Dalton Relié: 192 pages - Editeur : Aurum Press Ltd (1er novembre 2011)

Ray Harryhausen: An Animated Life - par Ray Harryhausen et Tony Dalton. Reiié: 320 pages Editeur : Aurum Press Ltd (2003-2009)

The Art of Ray Harryhausen - par Ray Harryhausen, Tony Dalton et Peter Jackson - Relié: 240 pages - Editeur : Aurum Press Ltd (2005-2009)

A Century of Stop-Motion Animation: From Melies to Aardman - par Ray Harryhausen et Tony Dalton - Relié: 240 pages - Editeur : Watson-Guptill (30 septembre 2008).

Ray Harryhausen  A life in Pictures – Compiled by Tony Dalton – Préface de George Lucas , conclusion de Ray Bradbury. Ouvrage à tirage limité de 300 photos publié par la Ray & Diana Harryhausen Foundation à l’occasion du 90e anniversaire de R. Harryhausen – 30 juin 2010.

 

A life in pictures Mike Hankin Vol 1
Mike Hankin vol 2 Mike Hankin vol 3

Mike Hankin (en anglais)

Ray Harryhausen - Master of the Majicks volume 1 : Beginnings and Endings - par Mike Hankin - Relié : 370 pages - Publisher  : Archive Editions LLC - (2013)

Ray Harryhausen - Master of the Majicks - Volume 2 : The American Films - par Mike Hankin et Jim Danforth (préface) – Relié : 370 pages - Publisher  : Archive Editions LLC - (2008)

Ray Harryhausen - Master of the Majicks - Volume 3  : The British Films - par Mike Hankin, Caroline Munroe (avant propos)  et Guillermon Del Toro (préface) - Relié : 640 pages - Publisher  : Archive Editions LLC - (2010).

Dinosaurs El Mago de Stop Motion
Meravile de Cinema Jason Laure Gontier

Autres auteurs

Dinosaurs Films of Ray Harryhausen - Features, Early 16mm Experiments and Unrealized Projects - Roy P. Webber - Publisher: Mcfarland, 2004-2012, 240 pages (en anglais).

Ray Harryhausen El Mago del Stop Motion – par Carlos Diaz Maroto – Editeur : Calamares Ediciones, 2010, 288 pages (en espagnol).

Ray Harryhausen e le meraviglie del cinema a «passo uno» - par Luigi-Cozzi – Editeur : Profondo Rosso, 2009, 214 pages (en italien).

Jason et les Argonautes – par Laure-Gontier, préface de Joe Dante – Editeur : Ciné légendes (Paris), décembre 2000, 89 pages. Seul livre en français sur Ray Harryhausen (en 2012).

Harryhausen Chronicles DVD Early Years DVD

LES VIDEO

Ray Harryhausen The Early Years Collection : Mother Goose Stories, Fairy Tales, The Tortoise and the Hare, Early Films, Tests and Experiments, etc DVD , Sparkhill LCC, 2005.

The Harryhausen Chronicles : Documentary, narrated by Leonard Nimoy (1997). Directed by Richard Schickel. DVD Rhino Home Video and AOL Time Warner, 2002.

Ray Harryhausen : Special Effects Titan (2011). Documentaire de Gilles Penso (DVD à paraître).

Les 15 longs métrages de Ray Harryhausen (inclus Mighty Joe Young de Ernest B. Schoedsack, 1949) ont été réédités en DVD, certains en Bluray. Les trois premiers films en noir et blanc produits par la Columbia existent en versions colorisées, travail approuvé par Ray Harryhausen lui-même.

Et encore


The Puppetoon Movie – (Courts métrages d’animation de George Pal sur certains desquels Ray Harryhausen à travaillé). Written and produced by Arnold Leibovit (1987). DVD, Image Entertainment.

The Animal World de Irving Allen (1955), documentaire pour lequel Willis O’Brien et Ray Harryhausen ont réalisé les séquences préhistoriques en stop motion. DVD. Warner Bros, 2010.

Bernard Herrmann Music for the Movies – de Joshuah Waletzky. DVD, Naïve Vision, 2006.

 

The Official Ray Harryhausen Website

Filmographie

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