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Jurassic Park

Octobre 1993

Les Dinosaures ressuscités de "Jurassic Park"

par Jean SEGURA

Jurassic Park

Utilisées pour une cinquante de plans dans "Jurassic Park", les images de synthèse s'affirment désormais comme une technique irremplaçable face aux effets spéciaux traditionnels (animatronique, image image,...). Une version de cet article a été publiée dans Sonovision, Octobre 1993.

Tous ceux qui ont vu "Jurassic Park" sont unanimes, jamais, des dinosaures reconstitués n'auront paru aussi réalistes à l'écran dans toute l'histoire du cinéma. Prouesse d'autant plus méritoire qu'elle associe l'animation par ordinateur aux   techniques traditionnelles comme les "poupées" animées image par image, manuelle   (ou "stop motion")   et motorisée ("go motion") ; ou plus récentes comme l'"animatronique". Cette technique regroupe les mannequins animés en durée réelle par des câbles, des moteurs électriques ou des dispositifs hydrauliques, ou encore les "costumes" de latex partiellement mécanisées. L'histoire du tournage de "Jurassic Park", déjà entrée dans la légende (1), regorge d'annecdotes et de rebondissements sur l'utilisation des effets spéciaux.

Adapté du roman de Michæl Crichton, "Jurassic Park" raconte comment, par génie génétique, on a pu reconstituer des dinosaures, animaux disparus depuis plus de 65   millions d'années et rassemblés dans un "parc à thème" ouvert au public. Crichton avait lui-même réalisé en 1973 le film "Mondwest" ("Westworld", suivi en 1976 de "Futureworld",   "Les rescapés du futur" en français, réalisé par Richard T. Heffron). Il s'agissait là aussi de parcs d'attraction un peu spéciaux où Yul Brynner interprétait un robot infernal habillé en cow-boy.

Pour les effets spéciaux de "Jurassic Park", le réalisateur Steven Spielberg souhaitait "faire des dinosaures qui auraient l'apparence de vrais animaux et non pas de monstres". Depuis leur découverte au XIXe siècle, -- malgré toute la rationalité occidentale - l'imagerie populaire a souvent relégué les animaux préhistoriques à des créatures monstrueuses et cruelles. L'enjeu était de sortir de cet archétype en donnant à ces animaux une facture réaliste qui crédibiliserait leur présence à l'écran parmi les acteurs. Rien ne devait être laissé au hazard : structure osseuse, mouvement des muscles, texture de la peau, expressions du visage, gestuelle, locomotion, etc. L'apport de paléontologistes conseillers du film, était de ce point de vue extrêmement précieux pour les équipes de réalisation d'effets spéciaux. Ces derniers se sont notamment inspirés de caractéristiques de la faune existante comme les lézards ou les oiseaux, lointains descendants des dinosaures : des estimations ! puisque personne n'a jamais vu de dinosaures, mais   donnant à ces animaux disparus un réalisme, et par là une crédibilité, qui a souvent fait défaut dans ce genre de film. Pari réussi avec "Jurassic Park" :   les sept espèces de dinosaures reconstituées semblent vraiment réssuscitées !

Jurassic Park

QUATRES DEMIURGES POUR REFAIRE LE MONDE A l'ANCIENNE

Pour réaliser cet exploit, Spielberg et sa maison de production Amblin Entertainment engagèrent plusieurs grands spécialistes des effets spéciaux : Michæl Lantieri, vieux compagnon de Spielberg   pour la série des "Indiana Jones" et qui a travaillé également sur "Qui veut la peu de Roger Rabitt" ou "Retour vers le Futur" II et III ; Stan Winston pour l'animatronique ;   Philip Tippett, grand spécialiste des dinosaures et de l'animation image par image ;   et enfin l'équipe de Dennis Muren, spécialisée dans les effets visuels chez Industrial Light and Magic (ILM), filiale de LucasArts Entertainment Company.

Spielberg souhaitait avoir le maximum de séquences où les dinosaures mécanisés auraient une taille réelle (full scale).   Le réalisateur des "Dents de la mer" ("Jaws ",1975), pensait que les progrès en matière de robotique depuis cette période permettraient d'obtenir des machines beaucoup plus performantes que son "requin" pour être filmées en temps réel sur un plateau. Le Stan Winston Studio devait se charger cette lourde tâche en construisant tous les dinosaures prévus dans le scénario : un département artistique devait assurer la conception et la fabrication des enveloppes corporelles des animaux tandis qu'un département mécanique fabriquerait les mécanismes internes destinés à les animer. Lantieri devait, entre bien d'autres tâches, fournir à Winston les plate-formes et pratiquables qui supporteraient et transporteraient les plus lourdes structures, comme par exemple le corps du tyrannosaure, un animal de plus de six mètres de hauteur, monté sur des verins de simulateur de vol. Mais l'animatronique a ses limites : aussi perfectionnée soit une machine robotisée, elle ne permet que des séquences assez brèves avec des plans relativement serrés où l'on ne voit jamais l'animal en entier. L'animation de telles machines fait appel à des moyens mécaniques (câbles, systèmes hydrauliques et électriques) et humains (animateurs de mannequins, opérateurs, etc) qui doivent être complètement camouflés à l'image. De plus , tous les avis des spécialistes convergeaient pour dire qu'il serait impossible de réaliser un robot mobile, entier et pleine échelle d'une créature aussi massive qu'un tyrannosaure (six mètres de hauteur, plusieurs tonnes).

Jeff Goldblum

UN SPECIALISTE EN DINOSAURES

Malgré le voeux initial de Spielberg d'avoir tous ses dinosaures "sur le plateau", certaines séquences comme les plans larges avec des animaux entiers en mouvement devraient réalisées par des animations image par image. Phil Tippett, un des plus talentueux des spécialistes de cette technique, s'était déjà distingué dans de nombreux films fantastiques ("Le Dragon du Lac de Feu", "Le Retour du Jedi", les "Robocop"), mais aussi à travers des documents tels que "Prehistoric Beasts" (1983) ou, réalisé pour la chaîne américaine CBS, "Dinosaurs" (1985).   Le travail d'animation des "dinosaures-poupées" du Studio Tippett viendrait alors en complément de celui des "dinosaures-machines" du tandem Winston-Lantieri. En outre Tippett était également chargé de produire quelques séquences "animatics" en stop-motion, sortes de story-boards sur film ou sur vidéo qui serviraient à Stan Winston à préparer la chorégraphie des animaux mécanisés lors du tournage réel. Rappelons qu'avec le stop-motion (ou "process shot"), les poupées sont animées manuellement image par image. Avec le go-motion (Animation assistée par ordinateur ou AAO), l'animateur manipule une poupée motorisée via une interface informatique : ce qui permet de répéter et de corriger le mouvement avant la prise de vue définitive. Le go-motion permet en outre de contrôler l'effet de flou (motion blurr) au rendu, effet totalement absent avec le stop-motion.

Le rôle de Dennis Muren et de son équipe d'ILM était   - initialement - de reprendre les images de Tippett et Winston de leur faire subir des traitements numériques sur ordinateur, ce afin d'éliminer les artefacts indésirables à l'image, tels que les accessoires, câbles, tiges de marionnettes, etc. ILM cherchait par ailleurs comment améliorer la qualité des séquences stop-motion par des moyens numériques. Moins coûteux que le go-motion, car il ne requiert aucun appareillage électromécanique ou informatique, l'animation stop-motion pêche cependant par son effet stroboscopique dû à l'abscence de flou des objets sensés être en mouvement. Muren et ses collaborateurs pensaient donc ajouter ce flou à l'image en utilisant un algorithme de morphing déjà existant. Les tests étaient concluants et, selon Muren, ce traitement permettait d'ajouter une bonne dose de réalisme aux séquences stop-motion.

Comme on le voit, l'emploi des images générées ou retraitées sur ordinateur n'avait au départ de ce film qu'un rôle limité et relativement marginal. Seuls quelques "animatics" avaient été réalisés par Stephan Dechant, concepteur graphique au departement Art chez Amblin. A l'aide d'un Amiga 2000 de Commodore et du système graphique Video Toaster offert à la production par NewTek, Dechant avait créé quelques modèles 3D   de dinosaures en fil de fer ; juste de quoi simuler la faisabilité de quelques mouvements, comme par exemple la marche du tyrannosaure ou l'animation des vélociraptors. Dans certains cas les animatics de Dechant furent remplacés par ceux du Tippett Studio, beaucoup plus ellaborés.

Jurassic Park

LE TYRANNOSAURE QUI CHANGEA LA FACE DU FILM

Mais d'autres perspectives inattendues se profilaient à l'horizon pour ILM. Mark Dippé et Steve Williams, proches collaborateurs de Dennis Muren chez ILM, avaient déjà commencé à recréer "clandestinement" sur ordinateur un squelette 3D de tyrannosaure à l'aide du modeleur du logiciel PowerAnimator d'Alias. Le squelette fut ensuite animé pour reproduire le mouvement de la marche. Le résultat, concluant, fut montré à Muren puis ensuite aux responsables de la production d'Amblin. La tentative porta ses fruits et l'équipe d'ILM fut alors chargée d'étudier d'un peu plus près une scène qui possait problème à la production.

La séquence, prévue dans le script, devait montrer un troupeau de galliminus gallopant pour échapper à la charge du tyrannosaure. Regroupant plus de deux douzaines d'animaux en même temps, il serait extrêmement difficile de la réaliser avec des poupées. En revanche elle ne poserait aucun problème majeur sur un ordinateur. On modélise un animal, puis on le duplique pour en faire un deuxième, trois, six dix, etc. On gère aussi beaucoup mieux le contrôle de l'animation.

Eric Armstrong, autre animateur d'ILM, commença la modélisation du squelette de galliminus, puis étudia l'animation d'une dizaine de congénères sur un fond d'image photographique qui servirait de décor. Une fois la séquence de travail réalisée, une projection fut organisée auprès d'Amblin et de Spielberg lui-même. La réaction fut totalement positive et Spielberg décida que la scène du troupeau, entièrement réalisée en images de synthèse serait intégrée au film. Il fut décidé qu'on poursuivrait également des essais plus poussés avec le tyrannosaure. Une maquette au 1/5e du T-Rex, réalisée par le Studio Stan Winston fut utilisée comme modèle par ILM. Cette maquette fut numérisée sur le dispositif de saisie du relief Cyberware. La maquette faisant 1,80 m de hauteur, il fallu la découper en plusieurs tronçons que l'on scannerait séparément, la reconstitution du T-Rex entier en 3D se faisant à l'aide du modeleur d'Alias. Commencèrent alors les tests d'animation à partir d'une structure squelettique sur laquelle viendrait ensuite prendre place l'enveloppe de l'animal modélisée. Plusieurs logiciels maison furent alors requis tels que 'Sock' et 'Envelopping'. Sock permit aux animateurs d'assurer la jointure entre plusieurs réseaux de points, appelés "patch meshes" ; ces réseaux constituant les parties anatomiques encore non assemblées du modèle. Conçu pour les effets spéciaux du film "Terminator 2 ", Sock du être légèrement modifié pour "Jurassic Park". S'il offrait un bon moyen de recréer la peau de l'animal, il s'avérait en revanche inefficace pour les effets dynamiques comme par exemple le gonflement ou la contraction des muscles. Bien que non conçu initialement pour l'animation des dinosaures, 'Envelopping', l'autre logiciel d'ILM, répondait à ce problème en permettant de générer un mouvement dynamique à l'intérieur des "patch meshes". N'importe quel point d'un réseau de points peut alors être contrôlés : par exemple des points de la surface de la peau peuvent être déplacés par d'autres éléments internes comme les os ou les muscles. Les mouvements naturels du corps deviennent facilement modélisables comme la contraction musculaire lors du repliement d'un membre, ou bien le soulèvement et l'affaissement de la cage thoracique lors de la respiration, etc. Par ailleurs, toutes les animations articulatoires des animaux ont été effectuées avec le logiciel Creative Environnement de Softimage. Selon les responsables d'ILM, Softimage a permis d'animer les personnages comme des marionnettes à tiges, une procédure bien plus naturelle que l'animation hierarchique déjà partiquée. Avec le module Chain, une fois le squelette modélisé, il est possible de créer des animations très réaliste : par exemple, si on tire sur l'extrémité d'un doigt, on verra le coude et l'épaule se comporter très naturellement.

CINQUANTE DEUX PLANS EN 3D

Une fois ces tests terminés, une nouvelle projection fut organisée avec Spielberg et la production. Le tyrannosaure, nouvelle version fit l'effet d'une bombe. Phil Tippett lui-même, subjugué par ces images, reçu comme un coup de poing à l'estomac. Cette réunion fut décisive pour la suite que Spielberg allait donnée quant à la réalisation des effets spéciaux . Le préssentiment de Tippett était bien fondé : désormais convaincu des capacités de la synthèse d'images en terme de réalisme, Spielberg pris la décision de confier à ILM le travail initialement prévu pour être réalisé en go-motion. Ce revirement surpris tout le monde, à commencer par les responsables d'ILM qui ne s'attendaient pas accéder aussi vite à ce qu'ils espéraient obtenir un jour : un rôle de premier plan pour la synthèse d'image. Quant à Spielberg, si depuis "Terminator 2", il était resté impressionné par le savoir-faire d'ILM en matière d'images numériques, il ne pensait pas que la technologie arriverait si vite à ce degré de perfection.

Le travail allait alors se répartir entre les scènes réelles de Stan Winston et les images d'ordinateur. Plus d'une cinquantaine de plans avec brachiosaures, parasaurolophus, tyrannosaure, galliminus et vélociraptors allaient revenir dans la corbeille d'ILM. Tippett, qui était déjà prêt à jeter l'éponge, fut cependant prié de rester associé au projet, à la fois par Spielberg et Muren : son expertise en matière d'animation et sa connaissance des dinosaures en faisait un précieux collaborateur. Désormais le Tippett Studio travaillerait en tandem avec ILM pour la réalisation des séquences sur ordinateur. Tippett dirigea des sessions de formations pour les animateurs d'ILM ; tandis que son équipe d'animateurs de poupées et lui-même allaient s'atteler à la pratique des ordinateurs et des logiciels. Après plusieurs mois de préparation, on décida de ventiler les séquences à réaliser entre les deux studios : une quinzaine de plans pour Tippett et le reste des 52 plans pour ILM. Une liaison de télécommunication spécialisée entre les deux sites, distants d'une trentaine de kilomètres permettait à Tippett, depuis son bureau à Berkeley, de juger quotidiennement sur un moniteur vidéo du travail accompli chez ILM à San Rafael ;   et de les commenter en direct au téléphone avec l'animateur concerné. Ce dernier pouvait, à l'aide d'un curseur, désigner les détails commentés sur l'image reçue par Tippett .

UN "DINOSAURE" POUR RENTRER LES DONNÉES

En collaboration avec ILM, Tippett va mettre au point le Dinosaur Input Device (DID), maquette articulée de dinosaure dont tous les points d'articulation (correspondant aux principales structures squelettiques telles que la colonne, le cou, la queue ou les membres) sont munis d'encodeurs électroniques. Relié à un ordinateur, le DID permettait d'enregistrer image par image tous les mouvements à faire exécuter par un modèle 3D. Hybride du savoir faire entre le   Tippett Studio (qui a réalisé la partie matérielle) et ILM (qui a développé les logiciels), le DID est le résultat d'un transfert de technologie du go-motion vers l'animation d'images 3D. Une fois la base de donnée des mouvements obtenue avec le DID, les informations étaient converties dans le format Softimage ; ce qui allait permettre d'affiner l'animation et de rajouter des détails comme le mouvement des doigts ou de la bouche. Enfin, ILM se devait se charger du rendu final et de la finition de l'ensemble des séquences. Quand ils en eu la possibilité, les animateurs se sont inspirés du comportement d'animaux existants, comme l'éléphant et la girafe pour simuler le brachiosaure, ou la course des autruches pour la débandade des galliminus.

En outre, une collaboration fut également établie avec Stan Winston pour déterminer exactement quels plans pourraient être réalisés en animatronique et quels autres plans il ne parviendra pas à faire et reviendraient donc à ILM et Tippett. L'image de synthèse jouait ici un rôle de "doublure" (au sens cinématographique) capable de faire tout ce qui était hors de portée de l'animatronique ;   une expérience que ILM et Stan Winston avaient déjà eu lors du tournage de "Terminator 2". Un autre travail primordial, confié à Tippett pour son degré d'expertise en dinosaures, était de vérifier la cohérence de   mouvement entre les "animaux" de Winston et ceux d'ILM. Il fallait à tout prix éviter toute rupture de "ton" et de "forme" dans le film, et particulièrement lorsqu'il aurait alternance de plans (entre animatronique et synthèse). Le résultat est après coup édifiant : plusieurs séquences, comme l'attaque du tyrannosaure sur la route, ou la chasse des vélociraptors dans la cuisine combinent les deux techniques de façon si imbriquée qu'il est pratiquement impossible de discerner une quelconque différence.

Jurassic Park

Steven Spielberg et la productrice Kathleen Kennedy

LA PEAU DE REPTILE DANS SES MOINDRES DETAILS

Les modèles 3D de dinosaures ont été réalisés d'après les maquettes 1/5e de Winston, avec toutes les couleurs et placages de rugosité ("bump mapping"). Il fallait reconstituer tous les détails de la peau des dinosaures : granulation, luisance, lignes d'écoulement de l'eau, salissures, zones de friction, couleur des yeux et des dents. Le niveau de réalisme à atteindre devait permettre de résister à l'incrédulité du public pendant les plans de longue durée, comme la scène du brachiosaure au tout début du film. Un autre logiciel maison, 'Viewpaint' fut écrit par les programmeurs d'ILM, pour améliorer les placages de textures. En offrant la possibilité de peindre la texture directement en trois dimensions, Veiwpaint évitait les fatales distorsions que provoque le mapping de texture 2D sur des objets 3D animés ; et par ailleurs d'atteindre un niveau de détails encore plus élevé, et ce pour chaque animal modélisé. Un grand nombre des informations de textures fut entièrement réalisé à la main par d'autres graphistes.

On fit également appel au logiciel de rendu photoréaliste 'RenderMan' de Pixar. A partir de toutes les données 3D d'une scène, RenderMan permettait de simuler tous les phénomènes de réflexion de la lumière, la projection des ombres ou encore la profondeur de champ des objectifs employés. Une fois le rendu obtenu avec RenderMan, les éléments de synthèse pouvaient être assemblés ("compositing") avec le décor naturel (filmé ou photographié) ; ce dernier ayant été préalablement scannérisé et rentré dans l'ordinateur. Enfin les retouches en 2D ont été exécutées avec le logiciel Colourburst de la firme Parallax (Colourburst est aujourd'hui incorporé à Matador, NDLA). Le logiciel de Parallax a permis de générer les caches (rotoscoping) pour l'incrustation finale dans le décor des dinosaures et d'autres éléments peints tels que les ombres ;   mais aussi pour effacer des artefacts (câbles, accessoires, etc).

Le travail devait être sans faille pour répondre aux exigences de réalisme du film. Couronnement suprême, Spielberg reconsidéra en cours de route la fin du scénario en la confiant aux animateurs d'ILM : il voulait notamment que le tyrannosaure - véritable vedette du film - fasse une dernière apparition,... ce qu'il fera dans une apothéose que le public est loin d'oublier.

On peut prédire que le succès remporté par le dernier film de Spielberg, est avant tout celui des infographistes d'ILM et de leur capacité à s'interfacer avec les autres équipes d'effets spéciaux. Quant à Phil Tippett, remis en cause par les indéniables avantages de l'image de synthèse sur le traditionnel image-image, il est à son tour conscient du formidable potentiel que cette technique recèle :   aujourd'hui "l'industrie cinématographique possède, avec l'infographie, un nouvel outil, aux possibilités multiples" a-t-il déclaré. Du coup, son vieux rêve de réaliser un nouveau documentaire sur les dinosaures pourrait bien devenir réalité. Les   amateurs de préhistoire ne sauraient en être déçu. Nous non plus !                                              

Jean SEGURA

Notes

1. Lire : "L'Album Jurassic Park" de Don Shay & Jody Duncan, 1993, Editions Hors Collection-Presses de la Cité.

"The Beauty inthe Beasts" par Jody Duncan, Cinefex n°55, août 1993 (Edition américaine).

 

 

DES ORDINATEURS "ACTEURS"

Le scénario de "Jurassic Park" décrit une salle de contrôle avec des écrans d'ordinateurs affichant des images de synthèse en 2D et 3D :   synoptiques de l'île Nubar, avec zones de visites, itinéraires, bâtiments et installations. La réalisation de ces images a été dirigée par Michæl Backes, scénariste de science fiction et fondateur d'un centre à l'American Film Institute de Los Angeles où l'on apprend le maniement des ordinateurs appliqué à la fabrication de films. Plusieurs constructeurs informatiques ont fourni les machines qu'on découvre dans le film : Silicon Graphics pour l'équivalent de 862 000 dollars, Apple pour 300 000 dollars, ainsi que Thinking Machines. Le coût des logiciels est revenu   à 200 000 dollars : images 2D avec Photoshop d'Adobe ; images 3D réalisées par Stephan Dechant d'Amblin Entertainment ; animation avec   Electric Image. Pendant le tournage, les images de synthèse étaient diffusées en temps réel sur les écrans graphiques des machines (plutôt que de simples moniteurs vidéo) donnant un caractère beaucoup plus réel à la scène.

J.S.

L'ANIMATRONIQUE DU FILM : LE TRAVAIL DE MICHAEL LANTIERI ET DE STAN WINSTON

Michæl Lantieri commença ses recherches : visite du Parc Universal Studio en Floride qui héberge un "King-Kong" robotisé, rencontres avec la société Dinamation International qui fournit les dinosaures animés pour les expositions scientifiques et les parcs à thème, et même avec l'équipe Henson qui réalise l'émission de télévision "Dinosaurs". Si Bob Gurr, concepteur du King Kong de Universal ne voyait pas d'obstacle majeur à la fabrication d'un Tyrannosaure (ou T-Rex) robotisé qu'on pourrait faire évoluer,   la grande majorité des personnes consultées (de la NASA à Cornell University, en passant par le MIT ou Caltech) semblaient partager un point de vue contraire : animer et faire marcher un engin robotisé de six mètres de hauteur était irréalisable compte tenu de toutes les contraintes techniques. L'idée de construire un T-Rex entier grandeur nature fut donc abandonnée : on utiliserait que des portions filmés avec des cadrages serrés, réunissant d'une part la tête, le cou, le torse et la queue monté sur une plate-forme et d'autre part, le ventre, les pattes et la queue.

Stan Winston, déjà concepteur de mécaniques animatroniques sur les films de James Cameron comme la "reine" de "Aliens" ou les endosquelettes des deux "Terminator" se chargea donc d'assurer la construction de ces morceaux de dinosaures commandés par des câbles ou des transmissions radio. Michæl Lantieri fournirait de son côté les plate-formes et pratiquables mobiles qui devait supporter et transporter les éléments les plus lourds pendant le tournage. Ces équipements annexes serviraient notamment à recréer certains mouvements et déplacements des animaux. C'est le cas de la scène où un Brachiosaure, dinosaure de grande taille et au long cou, s'approche de l'arbre géant dans lequel sont réfugiés le paléontologue Grant (interprété par Sam Neill) et les deux enfants : construits par Stan Winston, la tête et le cou articulés grandeur nature sont soutenus par une grue hydraulique conçue et fabriquée par Lantieri. La portion haute du Tyrannosaure était quant à elle arrimée à une plate-forme de type simulateur de vol avec des verins hydrauliques assurant tous les mouvements de basculement selon six degrés de liberté. Stan Winston réalisera également des vélociraptors entiers ou en portion, certains entièrement mécanisés, d'autres sous forme de combinaisons endossables par des acteurs ; le dilophosaurus ou "spitter" cracheur de venin pour lequel il fallut construire trois têtes différentes selon les expressions ; un tricératops adulte couché sur le flanc ; et enfin un bébé tricératops prévu pour une scène finalement écartée par la production, merveille de l'animatronique qu'on ne verra donc jamais.

J.S.

DU STOP-MOTION AU GO-MOTION

Le stop-motion est une technique très ancienne pour animer des personnages fictifs de la taille d'une poupée   (homme, dinosaure, créature mythique ou imaginaire,...). Pour ne citer que des oeuvres dans lesquelles figurent des dinosaures, le stop-motion a notamment été utilisée par le pionnier des effets spéciaux Willis O'Brien dans des films comme "Le Monde Perdu" ("The Lost World", 1925, Harry O'Hoyt) ou le fameux "King Kong" (1933, Cooper et Schoedsack) ;   puis par son jeune collaborateur Ray Harryhausen, devenu par la suite maître du genre, avec des films comme   "Un million d'années avant JC" ("On Million Years BC", 1966, Don Chaffey) ou   "La Vallée de Gwangi" ("Valley of Gwangi", 1969, James O'Connoly) ;   ou enfin par Jim Danforth dans "Quand les dinosaures dominaient le monde ("When dinosaurs ruled the world", 1970, Val Guest). Le principe du stop-motion (ou "process shot") est le suivant : on dispose face à une caméra une maquette souple du ou des personnages à animer  ; après avoir pris une photo, on change légèrement la position ou la posture du personnage, on reprend une photo sur le photogramme suivant et ainsi de suite jusqu'à reconstituer le mouvement entier prévu pour un plan donné ; les modifications millimétriques de la poupée sont assujettis à une charte d'animation extrêment précise, pour permettre la reconstitution fidèle du mouvement au moment de la projection du film à 24 images par seconde. Un des effets pervers de cette technique est que les poupées animées semblent étrangement nettes à l'image par rapport au reste de l'action. En effet, tout mouvement, s'il est filmé dans des conditions normales, crée un flou sur chaque photogramme de la pellicule ; flou que l'oeil perçoit plus ou moins inconscienmment au moment de la projection. Dans le cas du stop-motion, cet effet de flou n'existe pas puisque les poupées apparaissent figées dans leur posture sur chaque photogramme. Pour pallier à cet effet dit "stroboscopique", il faudrait que les marionnettes bougent (comme des acteurs) au moment de la prise de vue.

Cet écueil a été franchi il ya environ une quinzaine d'années avec l'animation   go-motion, une technique qui permet gérer les mouvements d'une marionnette à l'aide de tringles reliées à des petits moteurs eux-mêmes contrôlés par ordinateur. Les mouvements sont enregistrés dans l'ordinateur et peuvent être réjoués sur les personnages ou corrigés avant même la prise de vue, chose impossible à faire avec le stop-motion. Au contraire, la moindre erreur en stop-motion oblige à retourner le plan entièrement. En outre le go-motion permet enfin de contrôler l'effet de flou et de donner au mouvement des poupées une crédibilité "photographique" qui fait défaut au stop-motion. Le go-motion, appelée également Animation assistée par ordinateur (AAO), a été employé par Phil Tippett (d'abord au sein de ILM puis par le Tippett Studio) dans des films comme "L'empire contre attaque" ("The Empire Strikes back", 1979, Irwin Kershner), "Le Dragon du lac de feu" ("Dragonslayer", 1981, Matthew Robbins) ,"Le Retour du Jedi" (Return of the Jedi", 1983, qui valu un Oscar des effets spéciaux à Phil Tippett ou encore pour l'animation du robot infernal ED 209 dans   "Robocop" (1987, Paul Verhoeven)   et Robocop 2 (1990, Irwin Kershner).

J.S.

Jurassic Park Affiche