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Octobre 1996 Twister, une tornade d'effets numériques par Jean SEGURA Les effets spéciaux numériques cinématographiques ne sont pas réservés uniquement à la création de dinosaures ou autres monstres et créatures extra-terrestres. Dans le film de Jan de Bont Twister, ILM a utilisé tout une batterie d'outils infographiques (Alias Wavefront, Avid, Discreet Logic, Pixar et Softimage) tournant sur matériel Silicon Graphics pour réaliser des compositions réalistes dans lesquelles les tornades, reconstituées numériquement, sont intégrées aux paysages réels qu'elles ravagent sur leur passage. La rentrée cinématographique hollywoodienne aura été marquée par deux événements de taille avec les sorties respectives de superproductions mettant en jeu quantité d'effets spéciaux en tous genres: Twister , réalisé par Jan de Bont et Independance Day de Roland Emmerich. Les images de synthèse 2D et 3D et ainsi que la composition d'images d'origines différentes par assemblage, ou compositing y sont omniprésentes et apparaissent désormais comme des techniques incontournables dans la palette des magiciens du 7e Art. On ne pourra que souligner l'importance du rôle joué par les ordinateurs avec - au tout premier plan - les stations graphiques, les serveurs et les supercalculateurs de Silicon Graphics qui permettent la création, le rendu, l'assemblage, le montage ou l'enregistrement rapide des images éblouissantes que les spectateurs découvrent sur les écrans des salles obscures. Nous présentons dans cet article comment les trucages numériques employés par Industrial Light & Magic (ILM) ont permis la fabrication des images à la fois spectaculaires et réalistes du film Twister . MODÉLISER ET CONTROLER UNE TORNADE ! Bien que cela soit devenu la spécialité outre-Atlantique de certains amateurs et scientifiques de suivre les tornades qui se forment régulièrement dans les états du Middle-West, pour les observer, les photographier ou les filmer, personne n'avait encore réussi à les montrer de façon aussi spectaculaire que dans Twister . Et pour cause, ces tornades été façonnées sur mesure par les animateurs infographistes et les composeurs d'ILM. Deux méthodes ont été développées pour modéliser les tornades sur stations Silicon Graphics. Pour les plus modestes, on a employé le logiciel Softimage 3D: on construit d'abord un maillage en forme de cône qu'on déforme ensuite à l'aide de courbes de contrôle ( splines ). Plusieurs cônes peuvent ainsi emboîtés en gigognes et modifiés par des distorsions de leur maillage ( lattice animation ) afin de créer un effet plus chaotique à l'ensemble. Pour les tornades les plus importantes, les animateurs d'ILM ont fait appel à une méthode maison: on modélise des masses considérables de particules qui, une fois agglutinées, donnent à la surface du cône l'allure d'une colonne compacte; et ce sans avoir à remplir de particules l'intérieur de la tornade, puisque seul l'effet visuel final compte. Toutes ces tornades ont été animées en faisant appel à Dynamation, logiciel d'animation de particules d'Alias Wavefront. " Nous avons utilisé Dynamation pour générer les millions d'éléments qui forment la masse solide d'objets et de particules qu'entraîne une tornade sur son passage , ce qui est une première dans l'histoire de l'animation par ordinateur , explique Habib Zargapour, superviseur infographique chez ILM. Ce logiciel a été, grâce à sa fonction d'extension Clip F/X, enrichi par ILM de fonctionnalités permettant de contrôler les forces de chaque particule. " Nous adorons cette faculté d'ouverture de Dynamation " ajoute Zargapour. Les possibilités interactives de Dynamation sur stations Silicon Graphics ont permis de créer des séquences réalistes en temps réel en simulant les phénomènes dynamiques tels qu'on les observe sur les tornades réelles. On a pu ainsi donner aux tornades la forme et l'allure souhaitées en contrôlant des paramètres comme leur mouvement, leur rotation ou leurs turbulences.
SIMULER LES DESTRUCTIONS ! Il a fallu ensuite restituer à l'écran les effets dévastateurs que les tornades produisent sur leur passage, et ce... sans tornades! Par exemple, pour simuler les destructions causées sur les bâtiments, ILM a mis au point une méthode tout à fait originale. Avec le logiciel PowerAnimator d'Alias Wavefront on commence par modéliser les milliers de futurs débris qui constituent les bâtiments dévastés tels que fermes, granges, silos, etc. Ces éléments sont ensuite rassemblés comme un jeu de mécano pour reformer les bâtiments en question. Puis, au passage de la tornade, ils sont pris sous le contrôle de Dynamation pour être éparpillés sous forme de débris volants dans les airs ou bien avalés par la tornade elle-même. Des modèles de débris et de poussières ou des mini explosions sont rajoutées numériquement à l'ensemble pour rendre encore plus réaliste l'effet de souffle. Dynamation a également servi pour simuler les trombes d'eau, les tourbillons de poussière, la pluie, la grêle, les effets pyrotechniques ainsi que les mouvements de toutes les particules et débris comme feuilles, plants de mais, arbres, piquets de clôture et tout ce qu'on peut voir virevolter à l'écran. Des objets plus lourds ont également été modélisés pour les besoins de la cause comme des maisons ou des camions, et même une malheureuse vache, la plupart de ces objets "tombant du ciel" ayant été animés avec Softimage 3D. Dans une séquence de tornade particulièrement dévastatrice, Softimage 3D a également été employé pour le démantèlement morceau par morceau de la station de pompage d'eau dans laquelle se réfugient les deux héros. Pour le rendu, ILM a fait appel au logiciel Renderman de Pixar afin de donner à l'ensemble des objets modélisés tous les effets réalistes de lumière et d'ombrage ou le flou de mouvement ( motion blur ). Mais ILM a également dû développer un logiciel approprié à l'éclairage spécifique des particules. " Ce logiciel a été codé par nous-mêmes pour tourner en parallèle de façon partagée sur nos serveurs multiprocesseurs Challenge de Silicon Graphics, explique Stefen Fangmeier, superviseur des effets visuels chez ILM, ce afin de mobiliser une capacité de mémoire vive qui doit pouvoir s'accroître très rapidement au moment de l'exécution du rendu de millions de particules " Le logiciel de rendu permet aussi d'obtenir différentes sortes d'effets, depuis les petits nuages de poussières situés à la base des tornades les plus modestes, jusqu'aux colonnes de matières opaques des plus gigantesques, comme on peut en voir dans la dernière partie du film. UN CIEL NUMÉRIQUEMENT VERT Le deuxième enjeu de Twister a été l'intégration des tornades et des autres objets modélisés par ordinateur dans les images des séquences d'extérieur avec les acteurs, les objets réels comme les véhicules ou encore en les mêlant avec les effets spéciaux physiques réalisés pendant le tournage même. La première difficulté est que le réalisateur Jan De Bont voulait donner à son film la tonalité d'un documentaire pris sur le vif avec des caméras portées à l'épaule ou à l'aide de plans très mouvementés pris d'une voiture roulant à vive allure. ILM a pour cela mis au point une méthode de suivi du mouvement 2D qui permet de récréer artificiellement les mouvements de caméras réels dans le logiciel d'animation Softimage 3D. Ainsi les animateurs d'ILM on pu positionner avec précision les tornades en images de synthèse là où elles devaient avoir leur effet dévastateur dans les paysages. Ils ont ensuite employé la technique d'animation dite de "key framing" qui permet de définir à l'avance le parcours de la tornade, en reconstituant automatiquement toutes les vues intermédiaires à partir de quelques images clés de départ et d'arrivée. D'autres éléments ont dû été animés "manuellement" comme le toit d'une grange dont les déformations sous l'effet du vent sont obtenues par animation de maillage. La seconde difficulté est qu'il fallait rendre crédible la couleur du ciel ainsi que la luminosité ambiante, trop claire. La plupart des plans d'extérieurs, issus des plaines de l'Oklahoma et des champs de l'Iowa, ont été en effet tournés sous un soleil radieux, ce qui ne correspondait pas exactement aux conditions nuageuses qui règnent lors du passage des tornades. Il a fallu par exemple adoucir le contraste entre ombres et lumières partout où cela s'avérait nécessaire. Toutes ces modifications du ciel et de la luminosité devaient être accomplies en tenant compte des sujets réels situés en avant plan de l'image: bâtiments, arbres, voitures et personnages en mouvement. Pour parvenir à ces résultats, ILM a utilisé deux logiciels de traitement et de composition d'images; Flint de Discreet Logic opérant sur la gamme Indigo 2 Impact et Media Illusion d'Avid tournant sur toute la gamme de plates-formes Silicon Graphics. Media Illusion, intégrant la palette 2D Matador, a été employé pour créer des centaines de "mattes" de rotoscopage en mouvement ( moving mattes ) permettant l'incrustation "sans couture" des objets de synthèse en avant plan dans les images de prise de vue réelle. Avec Flint, ILM a pu effectuer quantité de mattes et d'opérations de rotoscopage pour des raccords de ciel notamment. " Le plan le plus complexe que j'ai eu à faire, explique Jeff Doran, l'un des composeurs d'ILM est lorsque le ciel devient vert, annonçant pour les héros un certain type de tornade (...). J'ai dû extraire ( de la séquence tournée en extérieur ) le ciel existant, changer les valeurs de couleurs, et apparier ce ciel modifié avec l'image originale (...) ce avec toutes les phases critiques occasionnées par les raccords de mattes de la partie en avant plan ". Le même travail a ainsi été répété des dizaines de fois sur des fonds de ciel différents et changeants. " Mais , poursuit Jeff Doran , les meilleurs effets sont ceux où personne ne s'aperçoit de rien (...) et Twister est tout à fait le genre de film désigné pour cela, car il n'y a ni dinosaure, ni d'Alien, et tout y semble réel. Les images obtenues sur ordinateur doivent seulement apparaître comme naturelles" . Avec Twister , les techniques par ordinateur, notamment grâce aux performances des architectures à base de systèmes Silicon Graphics, ont fait franchir une étape supplémentaire dans l'arsenal des effets spéciaux cinématographiques. Une étape qui décoiffe!
Jean SEGURA |
SILICON AU BULLETIN MÉTÉO DE TWISTER Silicon Graphics, fournisseur de l'institut de recherche qui étudie les tornades aux Etats-Unis, le NSSL (National Severe Storms Laboratory) à Norman en Oklahoma, a livré à l'équipe de tournage un matériel informatique et des véhicules spéciaux comparables à ceux utilisés par les spécialistes du NSSL. C'est sur ce matériel d'une valeur de 3M de dollars que la société d'effets spéciaux Banned From the Ranch Entertainment (BFTR), co-partenaire d'ILM sur Twister , a réalisé les visualisations de données météo ainsi que la simulation de tornade en 3D. BFTR a employé nombreux logiciels scientifiques dédiés à la météorologie, dont Earthwatch de Silicon Graphics, mais aussi Data Visualizer, Dynamation et Composer d'Alias Wavefront, ou encore Adobe Photoshop et Electric Image. Les graphiques ainsi réalisés, sous le conseil des experts du NSSL, devaient répondre au souci d'être vraisemblables. " Notre travail était de fabriquer des images excitantes et en relation directe avec le récit " explique Van Ling, superviseur infographique à BFTR, et en même temps satisfaire les dizaines de météorologistes qui iraient voir le film ". Mission accomplie! J.S. |