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Jean SEGURA                                                                                    

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Scott Fisher

L'homme tranquille de la réalité virtuelle

par Jean SEGURA

Scott Fisher

Scott Fisher au Siggraph 1996, New-Orleans. © Jean Segura

8 décembre 1992

SCOTT FISHER, 40 ans, ex-ingénieur à la NASA, est l'un des rares "vrais pionniers" de la réalité virtuelle. Il est à Paris où il expose une installation où se combine l'exploration d'un monde de synthèse et la téléprésence. Centre Georges Pompidou, Revue Virtuelle n°4, jusqu'au 24 janvier 1993. Une version de cet article a été publiée dans Libération le 6 janvier 1993.

Les pionniers de la Réalité Virtuelle (ou VR comme on dit outre-Atlantique) ne sont pas si nombreux que ça et pourraient se compter sur les doigts d'un seul "Dataglove" (1). Scott Fisher, ex-Ingénieur à la NASA et fondateur de Telepresence Research, petite société de la Silicon Valley, est à Paris, invité dans le cadre de la Revue Virtuelle, nouvelle formule proposée par le Centre Georges Pompidou. Cette "Revue" est plutôt un rendez-vous régulier que propose le Centre sur les thèmes des images de synthèse et des environnements virtuels. Au menu de la "Revue n° 4" axée sur le thème Réel-Virtuel, une conférence que Scott Fisher vient de donner avec pour titre "L'après simulation : téléprésence et environnement virtuel", une publication qui résume chaque conférence et une présentation temporaire. Jusqu'au 24 janvier, le public du Centre peut découvrir l'installation proposée par Scott Fisher : le dispositif BOOM (Binocular Omni Orientation Monitor), visière à minis-écrans de TV montée sur un bras articulé qui permet de faire bouger la visière dans toutes les directions de l'espace. Une fois les yeux collés à la visière, chaque spectateur a deux possibilités. Il est d'abord invité à se glisser à l'intérieur d'un "monde virtuel" peuplé de chiens et d'oiseaux imaginé par deux artistes infographistes américains, Susan Amkraut et Michaël Girard (2). Grâce à un ordinateur Indigo Elan de Silicon Graphics, les créatures virtuelles autonomes "réagissent" en temps réel en fonction des mouvements que le "visiteur intrusif" réel produit en déplaçant le BOOM. Le visiteur peut également rejoindre notre monde bien réel à l'aide d'une simple commande qui commute le système en mode "téléprésence". Les images du monde de synthèse sont alors remplacées par des images directes provenant d'une caméra vidéo, la Molly, située dans une autre pièce que le BOOM. La Molly est une caméra stéréo articulée dont tous les mouvements sont asservis en temps réel aux mouvements du BOOM via la station Silicon Graphics. A la manière d'un périscope, le visiteur téléporte ainsi son champ de vision sur un autre lieu, sans bouger de son siège. En outre, des écouteurs plongent le visiteur dans un environnement sonore tridimensionnel généré par le dispositif Beachtron de la société californienne Crystal River Engineering. Le BOOM et la Molly ont été fourni par Fake Space Labs, autre jeune compagnie de la Silicon Valley. A côté de cette installation, un vidéodisque interactif permet de découvrir une rétrospective des travaux de Scott Fisher.

Des débuts au MIT

A côté de Jaron Lanier , enfant terrible de la Réalité Virtuelle et fondateur de VPL (1), Scott Fisher fait plutôt figure d'homme tranquille. Ni dread-locks, ni chemises à fleurs comme aime à les porter le corpulent Jaron ; Scott Fisher cultive un style plus "bostonien" que californien, avec cheveux courts et costume cravate. L'homme est d'ailleurs de la côte Est. Né en 1951 à Bryn Mawr en Pennsylvannie, il fait des études artistiques au Skidmore College à Saratoga Springs dans l'Etat de New-York. En 1974, il rentre au Massachusetts Institute of Technology, le fameux MIT de Cambridge, près de Boston. Artiste résident, il se spécialise dans les techniques de perception binoculaire et de projection stéréoscopique pour la vision en relief. Toujours au MIT, il est associé en 1978 à l'Architecture Machine Group créé par Nicholas Negroponte qui deviendra lui-même directeur du MIT-Medialab en 1985. En pleine émergence des nouvelles technologies, ce groupe de travail "va se lancer dans les projets les plus fous". On commence à utiliser le vidéodisque, les images de synthèse et les banques de données pour des applications intercatives ou l'homme utilise l'ordinateur plus comme un instrument convivial que pour exécuter des calculs et cracher des listings. De 1978 à 1980 Scott Fisher participe notamment au projet Aspen Movie Map, une promenade interactive dans une petite ville du Colorado utilisant une banque d'images photographiques représentant 30 km de parcours et stockée sur vidéodisque.

Atari et les wiz-kid

Avec quelques complices de l'"Arch Mac", il est débauché par Atari Research Labs pour rejoindre l'équipe de recherche mise en place par Alan Kay, le "wiz-kid" (magicien pour enfants) des jeux vidéo-informatiques vendus alors à coup de millards de dollars par la firme de Sunnyvale. "Go West" ! Fisher traverse donc le pays et s'installe en 1982 au sud de San Francisco en pleine Silicon Valley dont il ne bougera plus. Chez Atari, il commence à mettre au point des écrans interactifs, des disposififs de vision en relief et autres interfaces pour des produits destinés à la formation, l'entrainement la communication et les loisirs. Il y rencontre un certain Thomas Zimmerman, futur inventeur du Dataglove et Brenda Laurel, qui deviendra quelques années plus tard son associée de Telepresence Research, ou encore Scott Foster, un spécialiste de la synthèse sonore qui allait créer la société Crystal River Engineering. Mais les ambitions coûteuses d'Alan Kay retomberont très vite et l'équipe de "magiciens" d'Atari, censée travailler pour les vingt prochaines années, est licenciée au bout de deux ans. Heureusement, dans la Silicon Valley, Scott Fisher s'est fait quelques relations, et ses travaux intéressent notamment la jeune équipe de la Division Aerospace Human Factors Research au NASA-Ames à Moffet Field.

Nasa Ames et les débuts du Virtual Environment Display

Michæl McGreevy et quelques autres viennent de démarrer un étrange programme qui intrigue jusqu'à la direction de la NASA elle-même : le VIVED ou Virtual Environment Display. Il s'agit de fabriquer un simulateur personnel, qui à l'instar d'un simulateur de vol, permettrait à un astronaute de simuler des missions dans l'espace ou sur d'autres planètes. Le premier volet de ce programme est de mettre au point un casque de visualisation ou Helmet-Mounted Display (HMD) destiné à l'exploration d'environnements simulés en images de synthèse 3D. L'expérience de Scott Fisher chez Atari pouvait être mise à contribution dans ce projet, notamment pour fabriquer un prototype à bas prix. C'était en 1985, "et je n'ai eu pour ainsi dire que "la rue à traverser" pour rejoindre la NASA et y poursuivre mes travaux" se rappelle Scott Fisher. Le premier "HMD maison" est conçu en 1986 à base de mini-écrans à cristaux liquides par McGreevy et Jim Humphries. Eric Howlett, ancien compagnon du MIT est alors contacté par Scott Fisher pour fournir les optiques qui s'interposent entre l'œil et l'écran. Ces lentilles doivent permettre à l'image d'occuper la totalité du champ visuel. Par ailleurs, Scott Fisher, qui avait déjà "joué" avec le gant de données (futur Dataglove) de Zimmerman lorsqu'ils étaient ensemble chez Atari, voit l'avantage de combiner ce "gant" au HMD pour enrichir les fonctionalités interactives du simulateur : pour saisir des objets virtuels, pour se déplacer dans l'espace virtuel tout en restant immobile dans le monde réel, pour pointer des "menus" et icônes géants suspendus dans l'espace, etc.

Rencontre avec Jaron Lanier

Cette étroite collaboration entre la NASA et Zimmerman qui, entre temps avait fait équipe avec un certain Jaron Lanier, autodidacte et musicien, aura les retombées industrielles que l'on sait avec, deux ans plus tard, la commercialisation du Dataglove par VPL Research, puis en 1989 celle du Eyephone (HMD de VPL) qui feront la une des médias. "Il faudra que Scientific American parle de nous (en octobre 1987) pour que la direction de la NASA de l'époque nous prenne enfin au sérieux" déclare Scott Fisher. L'exploration des environnements virtuels va alors connaître son heure de gloire au NASA-Ames, d'autant que la catastrophe de la navette Challanger en janvier 1986 agit comme un électrochoc à retardement dans les arcanes de la NASA. Pendant cette période de crise, les partisans de "l'homme dans l'espace" sont désavoués au profit de ceux qui sont favorables à l'envoi de missions robotisées. Dans son laboratoire, Scott Fisher va alors pouvoir développer le principe de téléprésence. Les équipements comme les HMD et les gants pourraient servir d'interfaces destinés à la commande à distance des robots lors de sorties dans l'espace ou pour l'exploration de la Lune ou de Mars. Avec le HMD, l'astronaute verrait des images en provenance de petites caméras situés sur le robot, tandis qu'il enverrait ses commandes gestuelles vers ce dernier via les gants. On arrivait au concept de poste de travail VIEW (Virtual Environment Workstation) qu'un astronaute pourrait utiliser pour plusieurs scénarios et applications, soit en mode "environnements virtuels", soit en mode "téléprésence" (dont l'exposition du Centre Georges Pompidou est une illustration).

Les développements de la Virtual Environment Workstation

Fisher s'écarte même des objectifs directs de la NASA en exportant le concept de VIEW dans d'autres domaines. Avec Scott Delp, alors à Stanford Unversity, il développe une application médicale baptisée "Cadavre Electronique". Il s'agit pour un chirurgien, équipé d'un casque HMD et de gants de données de répéter une opération de reconstruction plastique en simulant le déplacement du point d'accrochage d'un tendon sur le squelette, opération impossible à réaliser sur un vrai cadavre d'étude anatomique, et encore moins sur le patient lui-même. Mais les temps changent, David Nagel directeur de la Division Ames Aerospace Human Factors quitte la NASA pour aller chez Apple et la nouvelle direction, plus sceptique à l'égard du programme VIEW va drastiquement en réduire le budget. Une fois encore, Scott Fisher va reprendre sa besace d'idées, mais cette fois-ci pour la mettre directement à son profit.

Scott Fisher

Scott Fisher en 2008. © DR

Telepresence Research

En juillet 1990, il quitte la NASA et fonde Telepresence Research, société de conseil et de réalisation de systèmes de réalité virtuelle et de téléprésence. A ses côtés, Brenda Laurel, spécialiste du théâtre et qui a travaillé pendant une quinzaine années dans l'univers des jeux vidéo-informatiques. "Brenda apporte la dimension théâtrale, en imaginant des personnages (réels ou virtuels) "smart" (intelligents) qui interagissent en fonction d'un scénario à l'intérieur des mondes virtuels" ; dimension encore quasi-inexistante dans les applications de la VR aujourd'hui. Les marchés visés par Telepresence sont d'abord ceux des loisirs et de l'éducation, mais aussi le design et la sécurité. Plusieurs projets pour les parcs à thème, les expositions et les musées sont en cours de négociation. Avec d'autres jeunes "start-up" de la Silicon Valley, telles que Crystal River Engineering qui fabrique des dispositifs de génération de son tridimensionnel (Convolvotron et Beachtron) et Fake Space Labs qui fabrique la visière-écran montée sur bras articulée BOOM et la caméra pilotée à distance Molly, Scott Fisher a formé la Telepresence Alliance. Ce partenariat inter-entreprises vise à mieux réfléchir sur les nouveaux produits et les nouvelles applications de la VR et de la téléprésence et à répondre à toutes les demandes spécifiques du marché. Telepresence Research a déjà conclu plusieurs contrats au Japon, notamment chez Matsushita à Osaka pour une installation de téléprésence destiné à la surveillance. Scott Fisher estime que le prix des équipements allant baissant et leur qualité s'améliorant, ce marché est potentiellement en pleine expansion. "Nous en ressentons déjà les premiers frémissements". L'homme tranquille de la VR ne sait d'ailleurs plus où donner de la tête et voudrait bien trouver le temps de finir le livre qu'il a commencé… sur la réalité virtuelle, bien sûr.

Jean SEGURA

(1) Dataglove : Gant de données numérique fabriqué et commercialisé par la firme californienne VPL Research pour des applications de réalité virtuelle et de dialogue homme-ordinateur.

(2) Michæl Girard et Susan Amkraut, de Unreal Pictures, à Palo Alto, Californie sont spécialisés dans la modélisation infographique du mouvement et de la locomotion des hommes et des animaux. Ils ont réalisé Eurhythmy en 1989, film d'animation plusieurs fois primé, notamment au Siggraph et à Imagina.

Pour en savoir plus

Telepresence Research

Scott S. Fisher

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