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Jean SEGURAContact par e-mail : jean@jeansegura.fr |
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Howard Rheingold Un éclaireur pour les cyberespaces par Jean SEGURA Howard Rheingold et Jean Segura à Montpeliier, France, le 25 mars 1993, à l'occasion du colloque L'interface des mondes réels et virtuels. © DR 18 avril 1993 Howard RHEINGOLD est auteur de plusieurs livres sur les technologies de l'intelligence et de la communication. Son dernier ouvrage, La Réalité Virtuelle , vient d'être traduit en français. Cet Américain de 46 ans, passionné de forum électronique, est aussi rédacteur en chef de la Whole Earth Review , magazine né du mouvement de contre-culture qui hante la Californie depuis les années 70. Une version de cet article a été publée dans Libération en Avril 1993. "La réalité virtuelle (VR) est une "chose nouvelle" qui nous arrive et c'est aujourd'hui que nous devons essayer d'informer et de prévenir les gens sur les potentialités qu'elle renferme : positives comme négatives !". Plus que tout autre, Howard Rheingold sait de quoi il parle : cet ancien étudiant en psychologie réfléchit et écrit depuis plus de vingt ans sur l'émergence des nouvelles technologies et sur les effets qu'ils produisent, ou pourraient engendrer sur notre économie et sur notre vie quotidienne. Si depuis quelques années, l'expression "Réalité Virtuelle" a fait le tour du monde, cet homme y est pour quelque chose. Son livre Virtual Reality , sorti fin 1991 aux Etats-Unis et qui parait en français chez Dunod ce mois-ci, a été traduit en allemand, espagnol, italien et japonais : 55 000 exemplaires ont été vendus aux Etats-Unis et 25 000 en Grande-Bretagne, des pays où on le trouve maintenant en édition de poche. Rencontre avec Scott Fisher La réalité virtuelle est, rappelons un ensemble de techniques informatiques qui permettent à l'homme d'avoir la sensation d'évoluer et d'interagir à l'intérieur d'univers en images de synthèse. C'est en 1988 que Rheingold vivra son baptème du "cyberespace" comme il l'appelle : un certain Scott Fisher (voir Libération 6 janvier 1993) alors ingénieur au centre de Recherche de la NASA-Ames (au sud de San Francisco) lui glisse un visiocasque stéréoscopique sur la tête et lui fait enfiler un gant recouvert de capteurs. Rheingold se retrouve alors plongé dans un décor virtuel représentant le même bureau que celui dans lequel il se situait réellement, mais minimalisé à sa plus simple expression, comme un dessin au trait vert sur fond noir. En tendant la main, il aperçoit une main, la sienne mais reproduite avec les mêmes segments verts : l'image fil-de-fer bien connue des infographistes. On connait la suite, bientôt visiocasques et gant de données seront commercialisés, l'image va prendre de la couleur et de la lumière et les premières démonstrations spectaculaires vont commencer à voir le jour : tout d'abord sur les salons spécialisés comme Siggraph aux Etats-Unis (1989) ou Imagina en France (en 1991), puis se banaliser dans des opérations de prestige (comme aux Galeries Lafayette à Paris cet hiver) ou encore avec les stations de jeu Virtuality que l'industriel britanique W Industries est en train d'installer dans les aires d'amusements et les centres commerciaux du monde entier. Lorsque Scott Fisher eut débarassé Rheingold de son équipement de "cybernaute", celui-ci perçu très vite l'importance que cette technique pourrait prendre dans le futur : "plus qu'une extension de notre propre intellect comme peut l'être l'ordinateur, la réalité virtuelle procure à notre corps une amplification de tout notre système sensoriel". La naissance du Whole Earth Catalog A découvrir le cheminement de cet homme, il y avait probablement longtemps que Rheingold recherchait une pareille expérience. Né en 1946 à Phoenix en Arizona, il part faire des études de psychologie au Reed College de Portland dans l'Oregon. C'est les années 60 et l'Amérique rentre en convulsion : guerre du Viet-Nam, lutte pour les droits civiques des noirs, le rockn' roll fait bouger les corps et la contre-culture prend pied dans les universités sous les incantations des Jerry Rubin et autres Timothy Leary. En 1968, Rheingold qui aime bien parler de ce qui se passait en France au mois de mai se rappelle aussi que son College de l'Oregon fut occupé par les étudiants. En 1969, il s'inscrit à l'Université d'Etat de New-York à Long Island pour y poursuivre un Graduate en Psychologie, mais déçu par le lobby "comportementaliste" qui règne sur la psycho de l'époque, il arrête ses études à 23 ans pour "devenir écrivain". "Ce qui m'intéressait c'est ce qui se passe dans la conscience et, puisque l'université ne m'en donnait pas l'occasion, je décidais de poursuivre ces recherches en autodidacte". Ecrivain donc, il le devriendra, avec aujourd'hui une dizaine de références à son actif. Au début des années 70, la Californie bouillonne et Rheingold part s'installer dans la baie de San Francisco - où il restera - pour y rejoindre le mouvement de contre-culture qui bat son plein sur fond musical de Grateful Dead et de Jefferson Airplane : "beaucoup de gens cherchaient à vivre autrement, de façon indépendante, en communauté, à la campagne, en produisant sa propre nourriture et sa propre électricité". Un certain Steward Brand prend alors l'initiative de réunir dans un ouvrage toutes les idées et tous les trucs qui pourraient servir à mettre en pratique ce nouveau mode de vie alternatif. C'est la naissance du Whole Earth Catalog (WEC), puis quelques années plus tard d'un trimestriel qui deviendra la Whole Earth Review (WER) qui continue de paraître de nos jours. Environ vingt ans plus tard Howard Rheingold en devriendra le rédacteur en chef. Douglas Engelbart, J. C. Licklider, Alan Kay et les autres. Mais revenons aux années 70 où une autre révolution, technologique, celle-là, s'annonce. Il s'agit de la micro-informatique dont le WEC soupçonne intuitivement l'importance en consacrant dès 1974 un chapître sur les ordinateurs personnels (PC). Il faut alors se rappeler que le produit PC en tant que tel n'existe pas encore et ne fera son apparition qu'au cours des années 80 (le Macintosh d'Apple en 1984). Le jeune Rheingold découvre cet univers, inédit pour lui comme pour la grande majorité des gens à l'époque. A travers les recherches qu'il poursuit sur la conscience pour écrire ses livres, il perçoit peu à peu l'ordinateur comme un instrument potentiel d'amplification de la pensée. De 1982 à 1984, il réalise un vaste enquête auprès des hommes qui penseront ou feront la micro-informatique telle qu'on la connait aujourd'hui : Douglas Engelbart, J. C. Licklider, Alan Kay. Il visite les équipes de recherche du Massachusetts Institute of Technology (MIT), de l'Advanced Research Projects Agency (ARPA), du Xerox Parc, ou du centre Atari Research, lieux de toutes les imaginations et inventions qui feront de l'ordinateur un "être" civilisé et convivial qu'on ose poser sur son bureau. Rheingold en tirera des livres tels que Tools for Thought et The Cognitive Connection : Thought and Language in Man and Machine (avec Howard Levine). En ces lieux magiques pour le profane, il rencontre aussi quelques bricoleurs de génies qui portent les noms encore inconnus de Scott Fisher, Warren Robinett, Brenda Laurel, William Bricken ou Jaron Lanier , ceux-là mêmes qui, quelques années plus tard, seront les artisans de la réalité virtuelle. Remonter à la source du savoir, telle est l'une des démarches qui animent Rheingold : "les raisons pour lesquelles j'écris est de comprendre d'où viennent les technologies et quelles forces économiques et politiques les orientent vers le futur. Informer les citoyens de cela, c'est leur permettre d'en débattre, et peut-être de leur offrir la possibilité de choisir leur devenir". La Réalité Virtuelle , son dernier livre suit rigoureusement cette démarche : avec un contenu épistémologique en retraçant l'histoire et la préhistoire de des techniques de la VR, le plus souvent par le témoignage direct de leurs auteurs (tous vivants et pour la plupart encore très jeunes) ; et un contenu socio-politique qui révèle quels engagements et quels renoncements ont jalonnés leur développement. Howard Rheingold. © DR Rheingold a donc fait le tour du monde (Amérique, Europe, Japon) et des techniques alors disponibles ou en cours de développement en rapportant minutieusement tous les détails de son enquête. Mais depuis que le livre a été écrit (fin 1990), la réalité virtuelle n'a cessé de se perfectionner et de s'étendre et l'enthousiasme de son auteur s'est pondéré de mises en garde : "la Guerre du Golfe nous a montré à quel point le virtuel et le réel pouvaient s'interpénétrer et nous rendre confus ou sous-informé de la réalité de la bataille qui se tenait sur le terrain. Sur la simulation, Jean Baudrillard s'est d'ailleurs exprimé à ce propos dans les colonnes de Libération (sic)". Selon Rheingold, la violence et (ou) l'abêtissement à travers les jeux , rentrant le cas échéant en collusion avec des armes, pourraient devenir les vrais cauchemars de la réalité virtuelle. Philippe Quéau qui vient de faire paraître un ouvrage sur ce sujet (1) se pose les mêmes questions. Déjà les jeux d'arcades du type "bute-les-tous" constituent la seule vraie réussite commerciale de la VR. "Il faut par ailleurs savoir, rapporte Rheingold, que depuis la fin de la Guerre Froide aux Etats-Unis, la plupart des budgets militaires ont été restreints. Pas tous cependant, et la réalité virtuelle reste l'un des domaines où ils ont été accrus." Dont acte ! Si les industriels jouent encore les timorés avec la VR, les militaires ont de leur côté vite compris l'enjeu qu'elle pourrait représenter. Rédacteur en chef de la Whole Earth Review En attendant, Rheingold veut continuer son travail "d'éclaireur" comme il se nomme lui-même. "Il nous faut profiter des cinq, dix ou quinze années qui seront nécessaires pour que la VR prenne le plein potentiel qu'on lui prédit afin de réfléchir, informer et débattre entre citoyens. Ce qui en sortira pourrait influencer les décisions des acteurs politiques et économiques sur le devenir de cette technologie encore dans ses limbes." Depuis 1990, Howard Rheingold a une tribune de plus pour émettre ses messages en occupant le poste de rédacteur en chef de la Whole Earth Review à Sausalito, juste en face de San Francisco. Il a également en charge la nouvelle édition du WE Catalog (il y a en une tous les dix ans seulement !) où il compte faire collaborer des correspondants du monde entier. La micro-informatique, la réalité virtuelle et les communautés télématiques (dont il est un adepte et sujet sur lequel il prépare son prochain livre) y cotoieront la bioculture, les énergies douces et la protection de l'environnement. Une manière pour lui de relier la contre-culture des années 70 avec ce qu'il considère comme une "nouvelle forme de révolution alternative". Jean SEGURA Notes 1. Philippe Quéau : Le virtuel . Vertus et vertiges. 1993. INA/Champ Vallon
COMMUNAUTÉS VIRTUELLES : UN FORUM PLANÉTAIRE Interview de Howard RHEINGOLD par Jean SEGURA Howard Rheingold, mon "frère " en chapeau © DR 29 mai 1994 Howard Rheingold, auteur La Réalité virtuelle dont la traduction française fut éditée l'année dernière vient de sortir un nouvel ouvrage aux Etats-Unis intitulé Virtual Community, publié par Addison-Wesley. Nous avions rencontré H. Rheingold l'année dernière et recueilli quelques explications sur ce nouveau concept de "communauté virtuelle". Une version de cet article a été publiée dans le magazine Nov'Art. En tant qu'écrivain travaillant seul chez lui, on a toujours besoin de trouver des connections, d'échanger des idées neuves avec des gens. Le WELL, qui signifie Whole Earth 'Lectronic Link, est un réseau de communication par ordinateur fondé en 1985 à l'initiative de la Whole Earth Review (WER). La WER (1), elle-même émanation du Whole Earth Catalog (WEC) ou "catalogue des ressources", est un magazine trimestriel basé à Sausalito dans la Baie de San Francisco. Quant au WEC, il a été lancé par Stewart Brand en Californie dans la mouvance de la contre-culture des années 60 : partisans d'une société alternative par le recours aux énergies douces, l'autosuffisance agricole ou le respect de l'environnement. En 1985, le WEC avait publié une édition spéciale sur la révolution micro-informatique avec un catalogue de logiciels. Certains de leurs auteurs souhaitaient communiquer entre eux à travers une espèce de "salon électronique" où différents groupes, intellectuels, techniciens, ou autres, pourraient se rencontrer et partager des idées. Il y avait comme une relation directe entre la contre-culture des années 60 et cette révolution des PC.
Quand j'ai rejoint le WELL en 1985, il y avait 500 personnes environ. En 1993, nous étions environ 8000. C'est un peu comme si vous grandissiez dans une petite bourgade et que vous la voyiez se développer en même temps que vous. Depuis huit ans, je consacre au WELL deux heures par jour, tous les jours de la semaine. Ce qui est un engagement très profond pour moi, tout à la fois sur le plan de la communauté et sur le plan professionnel. Pour se raccorder au WELL , il suffit de possèder un ordinateur personnel équipé d'un modem et d'une simple ligne de téléphone. Le WELL possède plusieurs fonctionalités. Il y a le forum qui se présente sous la forme d'un Bulletin board system (BBS). Vous choisissez votre thème d'intérêt, puis vous rentrez dans une "conversation" par exemple sur la micro-informatique ou bien sur l'écologie. Vous pouvez parcourir l'historique en arrière et vous informer sur ce qui a été dit depuis le début d'un débat qui peut remonter à plusieurs mois, voire plusieurs années. Vous pouvez alors rejoindre le forum en écrivant votre propre commentaire, lequel sera alors enregistré dans le serveur central qui conserve la mémoire de tous les débats. Plus d'une centaine de sujets de discussions sont déjà engagés dans le BBS du WELL. Le gens font connaissance par ce moyen en se regroupant par affinités de sujets : informatique, écologie, littérature, éducation, bricolage, vie quotidienne, … LE WELL SUR INTERNET En 1992, le WELL a même rejoint Internet, qui est la version la plus récente d'Arpanet et qui regroupe entre 5 et 10 millions de personnes dans le monde (2) ; pour la plupart dans les administrations, les universités, les entreprises ou les institutions privées. (Outre l'Amérique du Nord) Internet est très utilisé en Grande-Bretagne et en Allemagne, et encore assez peu en France où j'ai cependant quelques correspondants qui empruntent ce réseau. Mon livre Virtual Community révelle que de petites communautés comme le WELL existaient partout à travers le monde à la manière de petites îles isolées. Après dix années, ces îles se sont de plus en plus reliées entre elles pour constituer un réseau plus vaste et donc une communauté à l'échelle planétaire : je pense qu'il y a plus d'une centaine de pays sur Internet. Vous pouvez y disposez d'un chat system , le real time interactive communication (RIC) qui, comme sur le WELL, permet d'avoir un conversation instantanée sur écran avec des correspondants du monde entier. Le WELL dont le serveur est basé à Sausalito près de San Francisco, est une communauté de 7000 à 8000 personnes dont 30% en Californie, une majorité en Amérique du Nord et de nombreux abonnés sur les autres continents. Depuis que le WELL est sur Internet, on peut établir des communications de Paris ou de Tokyo vers Sausalito sans avoir à payer le coût de la communication. C'est pourquoi, nous avons été rejoints par des usagers de la terre entière : au Japon surtout, un petit nombre en Amérique du Sud et plus modestement en France et au Royaume Uni. Mais il existe dans le monde toutes sortes de communautés de ce type. Lorsque j'étais au Japon, j'ai rencontré une communauté virtuelle à Kyuchu, très loin de Tokyo. Ce réseau est très similiaire au WELL en ce sens qu'il regroupe toutes sortes de gens différents dans leurs occupations, leurs classes sociales ou leurs pôles d'intérêts. Mais tous ont cet esprit de communauté. Les gens me demandent quel est l'avantage du réseau téléinformatique par rapport au téléphone ? Eh bien si avec le téléphone on peut appeler n'importe qui dans le monde, on doit savoir obligatoirement qui on appelle pour composer le numéro ; tandis qu'avec le réseau on peut rentrer en contact avec toutes sortes de personnes qui partagent le même pôle d'intérêt que vous, sans forcément les connaître à l'avance, ni savoir où ils habitent. On se connecte et on cherche des gens qui s'intéressent à la "réalité virtuelle", qui ont des "enfants de huit ans" ou qui font de "l'élevage de bergers allemands", finalement de larges groupes que la vie quotidienne ne donne pas nécessairement l'occasion de rencontrer, qu'ils habitent près de chez vous, dans une autre ville ou dans un autre pays. Le réseau me permet de rester en contact permanent avec toutes sortes de gens dans le monde. Propos recueillis par Jean SEGURA Notes A lire : VIRTUAL COMMUNITY par Howard Rheingold, 325 p, 1993, et THE INTERNET COMPANION par Tracy Laquey avec Jeanne C. Ryer, 196 p, 1993. Editeur : Addison-Wesley. Reading Massachusetts, USA Pour en savoir plus
Livres Tools for Thought - Howard Rheingold - Ed. Simon & Schuster, 1985 The Cognitive Connection : Thought and Language in Man and Machine – Howard Levine, Howard Rheingold - Ed Prentice Hall Trade, janvier 1987 Virtual Reality – Summit Books - USA - 1er Juillet 1991 La réalité virtuelle - par Howard Rheingold - Dunod, 2 avril 1993 The Virtual Community - Addison Wesley, USA, 1993 Les communautés virtuelles - Addison Wesley France, janvier 1995
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