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Janvier 2000 L'Ordinateur au secours du 7ème Art : les débuts de la restauration numérique de films par Jean SEGURA Blanche-neige et les 7 nains : le chef-d'œuvre de Disney de 1937 restauré par Cinesite (Kodak) en 1992 L’arrivée des techniques informatiques au labo va permettre de donner une nouvelle chance aux films qui pourrissent dans leurs boîtes. Dans un marché encore hésitant, quelques dizaines de personnes en France sont les pionniers de cette noble tâche. Une version de cet article a été publiée dans Micro-Hebdo, janvier 2000. On croyait les stars du cinéma immortelles. Et pourtant, leur sort ne tient qu’au devenir de la pellicule qui les a figées et qui, elle, n’est pas éternelle. Le celluloïd, obtenu à partir de nitrate de cellulose, employé depuis les frères Lumière jusqu’aux années 50, et ses successeurs ininflammables et plus stables, triacétate de cellulose et polyester, peuvent subir des dégradations graves, voire irréversibles, lorsque les films ne sont pas conservés dans des conditions appropriées. Car gare au diable qui sommeille dans les vieilles boîtes de pelloche ! Trop d’humidité fait tourner au vinaigre le triacétate le plus robuste, et alors adieu James Dean et Marilyn dont ce serait la deuxième mort. Quant à la chaleur, elle donne la fièvre au Technicolor et le tournis à la pellicule, sans compter les attaques de bactéries et champignons cinéphages et d’autres farfadets chimiques voleurs de couleurs. Les manipulations diverses sont également une porte ouverte à toutes sortes d’outrages telles que rayures, taches et poussières. Dans bien des cas, il est donc nécessaire de reconstituer tout ou partie des œuvres détériorées (ou avant qu’elles le deviennent) soit dans un but de pure conservation, soit pour une nouvelle exploitation : sortie en salle, diffusion ou édition sur cassette ou DVD. C’est ce à quoi s’emploient depuis plusieurs années des institutions publiques comme l’INA ou les Archives du Film du CNC ou encore les détenteurs de catalogues de films. Certains, depuis presque dix ans, font appel à des prestataires spécialisés dans le cadre du plan “ Nitrate ” lancé par le Ministère de la Culture, pour restaurer des chefs d’œuvres du muet et des débuts du parlant. Les techniques numériques y font progressivement leur entrée en complément, voire en remplacement des techniques photochimiques traditionnelles. Ainsi le service de restauration numérique de Centrimage à Ardillères (Essonne) s’est attelé depuis trois ans à la restauration de la collection Will Day pour les Archives du Film du CNC (courts et moyens métrages du début du siècle) et à la remise en état de “ bandes ” réalisées par Etienne Jules Marey, pré-inventeur du cinéma, pour la Cinémathèque Française. Dans un autre grand laboratoire de la région parisienne, une dizaine de personnes travaillent dans la plus grande discrétion à la restauration de films à succès des années 60 que l’on reverra un jour au cinéma ou à la télévision… neufs comme s’ils venaient d’être tournés. On se souvient à cet égard de la ressortie de Blanche Neige et les sept nains de Disney, une vieille dame née en 1937 reliftée en 1992 par les magiciens de Cinesite, une filiale de Kodak à Hollywood qui avait ainsi inauguré en beauté son système tout numérique Cinéon. Un des premiers travaux de restauration numérique en France à été la remise en état de “ bandes ” réalisées par Etienne Jules Marey RETOUCHES AUTOMATIQUES ET MANUELLES Comment se fait le travail de restauration ? Un opérateur spécialisé visionne une copie du film (obtenue à partir du négatif original en l’état) afin d’identifier les parties détériorées et d’établir un premier devis pour le client qui décide ensuite des priorités à donner en fonction de son budget. Une fois le planning établi avec ce dernier, on passe le film au scanner. Cette opération consiste à numériser image par image - donc à créer un fichier pour chacune d’entre elles - l’ensemble du fragment à restaurer. On utilise pour cela un scanner de type Cinéon de Kodak, Klone de Cintel ou de marque Oxberry, appareils qui permettent de numériser une image en 15 secondes en moyenne. Suivent alors les techniques de restauration proprement dite qui dépendent du type de défauts à corriger. Certains outils permettent d’éliminer automatiquement des rayures, des défauts fixes ou des poussières ; d’autres se chargent de la correction d’instabilités de position de l’image comme les tremblements, ou d’exposition de la lumière (dits de “ pompage ”) ou encore de flou. Chez Centrimage, on utilise à cette fin le logiciel Limelight, tournant sur Windows NT, développé dans le cadre d’un projet européen Eureka. La robe verte portée par Kim Novak (Judy) lors du tournage de Sueurs Froides en 1958 a servi à retrouver les couleurs initiales du film d'Hitchcock lors de sa restauration pour sa ressortie en 1997.
Mais de multiples autres défauts nécessitent l’intervention obligatoire d’un opérateur. Face à son écran avec un logiciel de peinture 2D comme seule baguette magique, il doit se livrer à un véritable travail de sorcier en travaillant le film photogramme par photogramme : ici, on élimine des taches blanches provoquées par des moisissures et des défauts d’émulsion, là c’est un voile fantôme pouvant se confondre avec des éléments de l’image originale qu’il va falloir atténuer ou éliminer, etc. Les logiciels utilisés tels que Cinéon, Inferno de Discreet ou encore Media Illusion d’Avid comme chez Centrimage, vont dépendre de la finesse recherchée, ou selon que le film doive être remis en état pour le grand ou le petit écran. Lorsque des photogrammes viennent à manquer, le restaurateur doit alors insérer les images absentes par interpolation graphique, ou morphing, technique employée dans les effets spéciaux.
LA ROBE DE KIM NOVAK La restauration des couleurs d’origine nécessite un travail d’appréciation très subjectif de la part de l’opérateur qui doit souvent aller rechercher des informations à partir d’éléments contextuels du film. Pour en donner une idée, il faut savoir que lors de la ressortie de Sueurs froides d’Hitchcock en 1997, les deux restaurateurs de Universal James Katz et Robert Harris sont allés rechercher la robe verte que portait Kim Novak au département costumes de la Paramount ou encore les échantillons de la peinture automobile employée par Jaguar dans les années cinquante. L’idéal serait bien évidemment de mettre au point un processus automatique de restauration des couleurs, et donc de s’affranchir au maximum de l’intervention humaine pour des raisons de coût ; ce à quoi l’on s’emploie chez Centrimage. Sueurs Froides , 1958 : des échantillons de la peinture employée par Jaguar dans les années cinquantes ont servi à restaurer les couleurs originales du film.
Une fois restaurée, la séquence ayant subi son bain de jouvence numérique est alors montrée au client qui donne (ou non) son accord de validation. C’est alors qu’intervient la troisième phase, à savoir le transfert des images informatiques sur film. On utilise pour cela un imageur, comme le Solitaire, un appareil qui, par un procédé inverse du scanner imprime chaque image de source numérique sur de la pellicule vierge ; une opération qui nécessite de 20 à 25 secondes par photogramme. Une fois développés, les fragments de film restaurés viennent alors se substituer aux parties endommagées correspondantes dans la boîte renfermant le négatif original. C’est à partir de ce négatif que l’on pourra tirer de nouvelles copies cinéma ainsi qu’un master vidéo : Bourvil, De Funes et Catherine Deneuve auront alors encore de beaux jours devant eux. Le Corniaud , 1965 : l'un des premiers films français en cours de restauration numérique à la fin des années 1990 BOURVIL ET DE FUNES, PAS UNE RIDE ! En France, des groupes ont déjà pris les choses en main. Ainsi Canal+ Image International, détenteur des droits du catalogue d’UGC D.A. (soit un fond colossal de plus de 6000 films), s’est donné comme priorité d’assurer la conservation des œuvres les plus menacées par les outrages du temps, avec comme perspective une nouvelle exploitation. Certaines d’entre elles sont en cours de restauration comme Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau et Le Corniaud de Gérard Oury et d’autres sont sur la file d’attente comme La Grande vadrouille du même Oury ou Le Corbeau de Henri Georges Clouzot.
La Cadillac DeVille convertible 1964 conduite par Bourvil dans Le Corniaud , 1965, dans sa version restaurée
Jean SEGURA |
DEUXIÈME CHANCE Retourner certaines scènes de cinéma ratées est souvent trop coûteux voire impossible : plateau démonté et équipe dispersée, acteurs partis, prise sur le vif dans un sujet d’actualité ou un documentaire, filmage d’une personne entre temps décédée, etc. La restauration numérique donne une deuxième chance à certaines de ces images ratées lorsqu’on veut réparer par exemple un incident sur la pellicule, de type scratch ou rayure, survenu au moment du tournage ou bien du développement et qu’il est impossible (ou trop coûteux) de retourner le ou les plans ainsi endommagés. J.S. |