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Jean SEGURA                                                                                    

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Jean Segura 1964

Elizabeth de notre jeunesse …

par Jean SEGURA

Elizabeth Llonch

Elizabeth Llonch Scheer sur le site du Club des Vigilants. © DR

22 février 2014

Chronique sur quelques instants de la vie d'Elizabeth LLONCH SCHEER (1er mars 1947 – 31 juillet 2010)

J’ai connu Elizabeth Llonch lorsqu’elle était lycéenne au Lycée Edgar Quinet, rue des Martyrs. Ses parents, d’origine espagnole, habitaient rue de Rochechouart, tout près de la rue du Delta, à Paris 9e. Avant de devenir la petite amie officielle de mon frère aîné Alain Segura au milieu des années 1960, j’avais déjà remarqué son charme et sa distinction avec une pointe de classe que je prenais alors pour de l’aristocratie. Elizabeth n’avait que deux ans de plus que moi et c’était suffisant pour que je ne l’assimile pas avec les jeunes filles de mon âge. C’était donc une des premières fréquentations féminines d’Alain, mais je ne me souviens plus vraiment à quel moment la glace s’était rompue et qu’ils forment enfin un couple. Elle était née le 1er mars 1947, mais ne l’ayant connue qu’en 1962 ou 1963, je ne sais rien de son enfance, ni même de sa préadolescence. Elle fût donc tout de suite pour moi une jeune fille en fleur. Je dis cela sans jeu de mot, car le premier souvenir que j’ai d’elle est celui du déguisement qu’elle portait à l’occasion de la fête de fin d’année d’Edgar Quinet.

C’était le seul moment de l’année où des garçons venus du Lycée Jacques Decour, situé avenue Trudaine, pouvaient être invités. Je revois Elizabeth sur la petite scène de la salle des fêtes réciter le sketch de Raymond Devos Sévère mais juste. Sa robe longue, son corsage à jabot et son chapeau de paille fleuri lui donnaient l’air d’une jeune fille tirée d’un conte de Maupassant. Elizabeth avait fait rire son public, montrant la malice qui l’habitait déjà, alors qu’elle ne devait avoir que quinze ou seize ans. Sa liaison avec Alain dura plusieurs années, deux, trois, je ne crois pas beaucoup plus. Je la voyais donc assez souvent venir à la maison chez mes parents, rue Notre-Dame de Lorette, tandis que moi-même je grandissais et devenais de plus sensible à son charme et sa féminité. Je n’étais pas amoureux d’elle, ça ne me serait jamais venu à l’idée, mais elle représentait un modèle de femme qui aurait pu me plaire, si j’avais eu quelques années de plus. Nous passions alors nos vacances d’été à Golfe Juan sur la Côte d’Azur, et la famille Llonch louait un appartement à Cannes pendant la même période. Les deux amoureux pouvaient se voir très souvent. Je me souviens qu’Alain la retrouvait presque tous les soirs, et les parents d’Elizabeth semblaient apprécier cette relation qui respectait les codes du tendre des jeunes gens mineurs de cette époque. Mon frère qui avait son permis, raccompagnait Elizabeth à Cannes avant minuit, mais je devais toujours être présent dans la voiture, sans doute pour donner un gage de bonnes mœurs vis à vis des parents de la jeune fille. Assis sur la banquette arrière de la 404 de mes parents, chaperon involontaire, j’assistais sans rien dire au rituel baiser des deux tourtereaux avant leur séparation. A la réflexion je me demande s’ils ne me faisaient pas sortir un instant pour respecter l’intimité de leurs baisers et secrets partagés.

Alain Segura 1962

Alain Segura, né le 4 août 1945, circa 1962.

Elizabeth m’intimidait, son âge, son avance scolaire naturelle et sa personnalité précoce en faisaient une personne presqu’adulte à mes yeux. Mais elle a toujours su être très agréable avec moi. Les années passant, nous commencions à pouvoir discuter de sujets de plus en plus sérieux, même si cela pouvait énerver Alain, qui n’appréciait pas toujours de m’avoir dans les pattes. Un soir de septembre 1966 (j’avais alors 17 ans), nous sommes allés tous les trois voir La Poursuite impitoyable d’Arthur Penn au cinéma le Wepler, place de Clichy. La violence montrée dans ce film, fruit de la bêtise et des préjugés, m’avait bouleversé au point qu’en remontant la rue de Douai à la sortie du cinéma, j’eus une crise de larmes que je ne pus dominer. Elizabeth, pleine de compassion, se pencha vers moi pour m’aider à épancher la douleur qui m’envahissait. Ce furent des instants pendant lesquels je prenais conscience de devenir un jeune homme.

A la belle saison, mes parents aimaient organiser des petites fêtes dans le jardin de notre maison à La Varenne. Insistant auprès de mon père, réservé sur le sérieux de l’engagement de son fils vis à vis d’Elizabeth, Alain eut enfin l’autorisation de l’inviter à une de ces garden parties. C’était un dimanche ensoleillé, le jardin était tout en fleurs et ma mère avait passé sa matinée à préparer ses meilleurs spécialités de cuisine orientale : borekitas, tarama, caviar d’aubergine, … Au milieu d’une assemblée de quinquagénaires, le jeune couple rayonnait ! Elizabeth, semblant très à l’aise dans ce monde adulte, portait une robe verte qui laissait son dos entièrement nu. Intrigué par la singularité de ce vêtement, je me permis de lui demander en aparté comment elle avait fait pour cacher son soutien-gorge. Elle me répondit avec sérieux et malice qu’elle n’en portait pas : « c’est la robe qui fait soutien gorge ! ».

Alain a toujours été comme ça, il était fier de faire découvrir à ses amis celle qui était – à ce moment là - la « femme de sa vie ». Il fréquentait alors Catherine Arditi et son frère Pierre (tous les deux comédiens en herbe) qui habitaient 35 rue des Martyrs. Il y avait aussi ses camarades de Jacques Decour : Michel Zaoui, alias Micha, futur avocat à la cour et Bernard Calas, futur médecin, que mes parents avaient engagé pour me donner des cours particuliers. Puis il y eut Liev Scheer, qui habitait rue des Petites Ecuries, lui aussi venu du Lycée Jacques Decour, un garçon brillant pour lequel Alain ne cachait pas son admiration. Nous sommes dans les années 1960, et la génération de la France gaulliste va bientôt se télescoper dans celle de Mai 1968. Liev est imprégné de doctrine marxiste léniniste qui va aiguillonner la vague révolutionnaire qui s’annonce.

Jean Segura 1964-2e

Jean Segura, né le 20 mars 1949, 1964.

Ayant hissé l’intelligence et la culture de Liev nettement au-dessus de la moyenne, Alain pensait qu’il était en mesure de la confronter à celle des amis intellectuels de mon père. Un jour, Alain Segura, 21 ans, lui propose d’inviter Liev Scheer au milieu d’un aréopage d’hommes mûrs. Ils vont voir ce qu’ils vont voir ! Le débat, qui eut lieu en 1966 (ou 1967) dans le salon Louis XVI de la rue Notre-Dame de Lorette, mettra aux prises Charles-Auguste Bontemps, écrivain et philosophe anarchiste de droite, auteur de L’Homme et la liberté, Lucien Jaillard, directeur du Cours Jaillard avenue Trudaine, gaulliste catholique, et Georges Arditi, artiste peintre (père de Pierre et Catherine), homme de gauche proche de Mendès-France. Je me souviens de Liev arrivant tout sourire et tenant sous le bras le dernier album des Beatles (était-ce Revolver ou Sgt Pepper’s ?). Même si je ne comprenais pas tout ce qui s’est raconté ce soir là, je me sentais plus proche de Georges Arditi et de Liev Scheer qui tenaient des discours que je n’avais jamais entendus auparavant dans les milieux conservateurs, pour ne pas dire réactionnaires, que fréquentait mon père.

Est-ce chez les Arditi que se dessina l’idylle qui allait bientôt se nouer entre Liev et Elizabeth ? Seuls les deux intéressés auraient pu répondre à cette question. Toujours est-il qu’Alain m’annonça un jour que son histoire avec Elizabeth était terminée. J’ai su par la suite qu’Elizabeth Llonch était devenue Madame Scheer et que Liev se faisait appeler Léo. Elle avait changé de nom, et lui de prénom.

Vingt ans après

Je ne retrouvai Elizabeth Scheer qu’au milieu des années 1980, lorsqu’elle était en poste au Ministère de l’Environnement sous le mandat d’Huguette Bouchardeau. Vingt ans ou presque avaient passé. J’avais 35 ans. Je travaillais alors dans le secteur de la valorisation des déchets et, ayant commencé à écrire des articles pour le magazine Biofutur, venais de commencer une formation en communication pour devenir journaliste. Je pensais que par ses contacts, elle pourrait m’aider à trouver un nouvel emploi. Le mercredi 14 novembre 1984, nous nous retrouvâmes pour un déjeuner au Pub Winston Churchill, rue de Presbourg. J’appris que Léo et elle avaient divorcé. Elle m’avait demandé des nouvelles d’Alain, ne sachant plus du tout ce qu’il était devenu. A 37 ans, c’était une femme accomplie, radieuse, ancrée dans le réel. J’aurais bien voulu travailler avec elle, mais c’était trop tôt ou trop tard. Car elle avait déjà d’autres perspectives professionnelles. Nous nous quittâmes place de l’Etoile, et pensant faire un bout de chemin avec elle, Elizabeth me dit en guise d’au revoir : « je ne prends jamais le métro, je préfère marcher ou prendre un taxi ». Quand je disais qu’il y avait quelque chose d’aristocratique en elle !

Quelques mois plus tard, elle m’invita pour son anniversaire. Elle avait organisé un bal masqué dans une grande demeure au sud de Paris et m’avait demandé si je pouvais venir avec Alain. Je me demande aujourd’hui si elle ne s’était pas un peu servie de moi pour revoir son ancien amoureux. Sa fête était gaie et fastueuse, et j’avais trouvé une cape et un chapeau haut-de-forme pour me déguiser. Elle nous présenta son nouvel élu, montrant par là que sa rupture avec Léo n’avait pas mis un terme à sa vie sentimentale. Alain avait été à la fois surpris et ravi de cette invitation. Mais je m’aperçu très vite de la déception qui marqua le visage d’Elizabeth lorsqu’elle le revit. Sans doute, les années difficiles que mon frère avait traversées se remarquaient sous ses traits fatigués. Alain s’appliqua à être souriant, mais je le sentais un peu paumé face à cette reine de la soirée dont l’éclat semblait l’aveugler. « Si la vie avait voulu ? » me suis-je dit. Alain et Elizabeth ne se parlèrent pas plus de dix minutes, et ne dansèrent pas non plus ensemble. Un peu plus tard arrivèrent Léo Scheer avec sa nouvelle compagne. Toujours aimable, Léo, qui au sortir de sa réussite dans le projet de Canal+ devait à cette époque travailler chez Publicis, passa quelques minutes avec son ancien copain de Jacques Decour avant de s’intéresser à d’autres convives. Alain et Elizabeth ne se revirent jamais.

Je retrouvai Léo à plusieurs occasions, chez lui – à l’époque où il anima l’Observatoire de la Télévision en 1994 - ou dans des lieux publics comme au Salon du Livre en 2004 à l’occasion de la sortie de mon livre Lettres d’Algérie que je lui avais envoyé. Nous ne reparlâmes jamais d’Elizabeth. Il y a quelques semaines, vendredi 17 janvier 2014, croyant reconnaître Elizabeth dans le public de l’émission Ce soir ou jamais de Frédéric Taddei, je fis des recherches sur Internet pour savoir ce qu’elle était devenue. J’appris qu’elle était décédée d’un cancer, trois ans auparavant, le 31 juillet 2010. Elle était directrice associée de la société Création Contemporelle à Paris. Elle avait 63 ans. L’illusion de son apparition sur un plateau de télévision avait fait resurgir un fantôme, celui d’une jeune femme, toute en grâce, restée si vivante dans mes souvenirs d’adolescent.

Jean SEGURA

Eléments de biographie

On trouvera ci-dessous :

1) Le texte de la seule biographie connue d’Elizabeth Llonch Scheer. Actuellement encore en ligne sur le site du Club des Vigilants dont elle fut membre du conseil d'aministration.

2) Le communiqué annonçant sa mort dans La Lettre du Club des Vigilants n°84 de septembre 2010. Texte mis en ligne sur le site du Club des Vigilants.

 

1) Club des Vigilants. Membre du Conseil : Elizabeth Scheer.

Elizabeth Scheer est aujourd’hui Directeur Associé dans un cabinet de management de transition et de réorganisation opérationnelle d’entreprise. Elle a une double carrière : au service de l’Etat, comme chargé de mission au Commissariat Général au Plan, chef de l’Information au Plan-Construction, directeur de la communication au Ministère de l’Environnement. Elle a ensuite rejoint le secteur privé où elle a participé, comme directeur de projet, à l’implantation et au développement international d’un parc à thème, à la promotion du design catalan en Europe, à la modernisation de l’image touristique de la région Touraine … Elle a mis son activité professionnelle entre parenthèse, pendant quatre ans, pour initier, promouvoir et financer un projet, « Luxe Ethique », qui visait à favoriser la créativité des enfants, comme élément structurant de leur rapport au monde. Européenne convaincue, elle préside une association en faveur de la construction européenne dont l’objectif est de conduire des réflexions et des actions qui contribuent à imaginer le futur de l’espace européen. Son engagement depuis de nombreuses années comme membre du Club rencontre les interrogations qu’il porte, notamment dans leur dimension prospective. Elles correspondent à son expérience professionnelle tournée vers des problématiques de préparation de l’avenir, pour les acteurs publics et privés.

2) Vigilances : La Lettre du Club des Vigilants n°84, septembre 2010

In Mémoriam : Notre amie Elizabeth Llonch Scheer est décédée le samedi 31 juillet (2010). Elle a longuement lutté contre une terrible maladie. Tous ceux qui l’ont connue et aimée ont admiré son courage et la discrétion de son combat. Elizabeth a rejoint le Club en 2003. Dès le départ, elle a participé à des groupes de travail. En 2009, en compagnie de Thomas Laborey, Laurent Ryckelynck et Stéphanie Soarès, elle a compilé des idées recueillies depuis plusieurs années et suggéré quelques actions que nous nous efforçons de mettre en œuvre. En 2010, elle a inauguré les « Dîners du Club » et invité, pour commencer, le sinologue François Jullien. Egalement en 2010, l’Assemblée Générale l’a élue au Conseil d’Administration. Le malheur a voulu qu’elle n’ait pu participer à aucune séance. Nous ne dirons jamais assez combien nous la regrettons. Elizabeth n’était pas seulement membre du Club des Vigilants. Elle avait adhéré, dès 1992, au Mouvement Européen France. En 2002, elle a œuvré à la création de sections parisiennes et pris la présidence du Mouvement Européen Paris Ouest (MEPO) en 2007. En parallèle à son action associative, Elizabeth, sociologue de formation, a mené une intense activité professionnelle qui l’a conduite du Commissariat au Plan au Cabinet de conseil GMV2 en charge, notamment, des questions liées au positionnement des marques. Tous ceux qui ont eu la joie de travailler avec Elizabeth savent qu’elle a toujours été sensible aux questions d’éthique. Les préoccupations morales faisaient partie de son charme. Sa mémoire et son sourire resteront dans nos cœurs.

Bernard Esambert et Marc Ullmann

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