John Lasseter première vraie star de la 3D
Ou l'enfant terrible de Pixar
par Jean SEGURA
Décembre 2000
Portrait du premier réalisateur de longs-métrages par ordinateur. Des versions de cet article ont été publiées dans Libération en mars 1996, au moment de la sortie de Toy Story, puis dans CinémAction n° 102, en 2001
John Lasseter n'a rien d'un ingénieur informatique à qui Disney aurait demandé de "relooker" Mickey façon 3D. Tel un symbole qui devait préfigurer sa carrière, il a eu comme berceau Hollywood où il est né en 1957. Il passe sa jeunesse à Whittier (Los Angeles) où sa mère enseigne le dessin. Il a la fibre familiale et s’inscrit après le lycée au cours d’animation créé par Disney au California Institute of Arts. C’est là qu’en 1979 il réalise ses deux premiers courts métrages de facture classique, Lady of the Lamp et Nitemare.
Premiers pas chez Disney
Une première expérience qui le mène directement aux studios Disney où il va rester cinq ans : il collabore notamment à Rox et Rouky (The Fox and the Hound) ainsi que sur Le Noël de Mickey (Mickey's Christmas Carol, 1983). C’est au cours de cette période que l'ordinateur fait une timide apparition chez Disney à des fins expérimentales. Car le studio s’est engagé dans une superproduction plutôt futuriste pour l’époque avec Tron (1982). Sur les 105 minutes de ce long métrage de Steven Lisberger, figurent environ quinze minutes d'animation 3D pure, plus quinze autres dans lesquelles l'image de synthèse est combinée à des prises de vue réelles. Disney confie la réalisation de cette performance inédite dans l'histoire du cinéma à une société de la côte Est, Mathematical Applications Group Inc, ou MAGI, et à deux autres prestataires de renom, Digital Effects à New York (fondé par Jeff Kleiser) et Robert Abel & Associates, à Los Angeles.
Attentif au travail accompli sur Tron, John Lasseter participe (avec Glen Keane) à la réalisation d’un essai de trente secondes tiré du livre de Maurice Sendak Where the Wild Things Are . Dans ce court-métrage, les personnages dessinés à la main sont plaqués sur fond de décors fabriqués sur ordinateur. Dans un autre essai de trente secondes, réalisé avec MAGI, Don't Blink (1983), Lasseter poursuit son apprentissage de l'ordinateur en testant les vertus comparées de décors peints et de décors en 3D. Mais les responsables de Disney d'alors ne sont plus très chauds pour poursuivre dans cette voie ; surtout après l'insuccès relatif de Tron, dont la production a dépassé de 20 millions de dollars le budget initialement prévu.
C'est à la même époque que Lasseter fait la connaissance de William Reeves, un informaticien de LucasFilm. De cette rencontre va naître une fructueuse collaboration dans laquelle vont se combiner le talent artistique du premier et l’ingéniosité du second. Lasseter se retrouve bientôt chez LucasFilm où il réalise en 1984 The Adventures of André and Wally B. Les images de ce premier court métrage entièrement en 3D sont calculées sur un super-ordinateur Cray, de même type que ceux utilisés par la NASA et les grands centres de recherche. De la division « animation par ordinateur » de LucasFilm émerge un an plus tard la société Pixar. D'abord filiale du groupe de George Lucas, Pixar (basée près de San Francisco) devient par la suite une firme indépendante à laquelle s'associe le fondateur d'Apple Steve Jobs. Et John Lasseter participe à ce titre aux effets spéciaux en 3D pour Le Secret de la Pyramide (1985, Barry Levinson) produit par Spielberg, en réalisant le chevalier de vitrail qui sort de son cadre.
Admirateur de Frank Capra
Mais c'est à partir de 1986 que Lasseter va laisser épanouir un art dans lequel sa technique infographique saura s'effacer au profit du récit et des personnages. Admirateur de Frank Capra, il sait créer des personnages dotés d’une âme tendre et ludique. Ainsi, si ses "acteurs" ne sont que des objets, deux lampes de bureau dans Luxo Junior (1986) ou un petit monocycle de jongleur de cirque dans Red's Dream (1987), Lasseter parvient, à travers le jeu des situations, à leur donner la dimension de personnages chargés d'humour et d'émotion. De plus, grâce à l'avance technologique de Pixar d'alors en matière de réalisme des images de synthèse - qui emprunte à la fois à la photographie et au cinéma - Lasseter sait exploiter la 3D comme un ressort dramatique inédit dans l'histoire de l'animation: par la profondeur de champ, par le jeu des ombres et des lumières, le déplacement des caméras virtuelles ou encore par le rendu du flou dans le mouvement. En 1988, Lasseter remporte à Hollywood l'Oscar du meilleur court-métrage d'animation avec Tin Toy, une histoire d'enfant et de jouets qui, par le scénario, préfigure déjà Toy Story. Suivent en 1989 Knick Knack , filmé pour une projection en relief, puis, reprenant son personnage de la lampe "Luxo", le triptyque Surprise, Light Heavy et Up Down (1991).
Toy Story , en route vers la gloire
Chez Disney à Glendale (Los Angeles), les techniques de synthèse d'images sont introduites progressivement dans l'animation traditionnelle pour la réalisation de certains décors comme dans Oliver & Cie, La Petite Sirène, La Belle et la Bête, Aladdin, Le Roi Lion , Pocahontas, ou plus récemment dans Tarzan. En ce qui concerne la 3D pure, seuls quelques courts métrages pilotes sont produits comme Oilspot & Lipstick (1987, réalisé par le Late Night Group) et Off his Rockers de Barry Cook (1992), une autre histoire de jouets dotés d'une "âme" dont on retrouve l’esprit dans les deux Toy Story. En fait en 1991, Disney va préférer s'adresser à Pixar et à John Lasseter pour poursuivre dans cette voie. Un accord de production de trois longs-métrages entièrement en 3D est donc passé entre les deux firmes, et cinq autres devraient se succéder, suite à un nouveau contrat passé en 1997. Quinze après son premier passage chez Disney, John Lasseter est devenu la première vraie star de la 3D : ce sera Toy Story en 1995, Les Mille et une Pattes (A Bug’s Life) en 1998, Toy Story 2 en 1999 et Monsters Inc, un quatrième long métrage d’animation 3D co-produit par Disney qui doit sortir en 2001. En 1995, John Lasseter a reçu un Oscar pour l’ensemble de son œuvre.
Jean SEGURA |